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L’ENCYCLOPÉDIE.

ce sera dans les articles concernant le paganisme qu’on trouvera l’idée véritable des Encyclopédistes sur la religion chrétienne. En un mot, il faut lire l’Encyclopédie comme on lit le Dictionnaire de Bayle, et « gouverner, » comme on disait au XVIIe siècle, la fille comme on gouverne le père, c’est-à-dire se mettre et se maintenir en rapports avec l’une et avec l’autre avec la même méthode, les mêmes tempéramens et les mêmes précautions.

Et c’est ce qu’a fait M. Ducros, fort pertinemment, patiemment, non sans labeur, non sans sagesse et flair et coup d’œil.

Mais est-il besoin de se donner tant de peine et le profit est-il en raison de l’application et du zèle ? Certainement ; car l’Encyclopédie est un ouvrage d’un caractère tout spécial et infiniment rare. Il y a des ouvrages qui sont faits par des hommes de génie, et je n’ai peut-être pas besoin d’en démontrer l’utilité. Il y en a qui sont faits par des gens médiocres ; et parfaitement inutiles au temps où ils naissent, ils ont cette récompense imméritée d’être extrêmement utiles un ou deux siècles plus tard. S’il était vrai qu’un homme de génie fût le produit net de sa race en un certain milieu et à un certain moment, c’est l’homme de génie qui serait, un siècle après sa mort, le document historique à consulter sur son temps ; mais cela n’est pas vrai, et, pour savoir ce qu’a vraiment pensé le commun des hommes à une certaine époque, c’est l’homme médiocre et très mêlé au monde de son temps qu’il convient de choisir ou d’accepter comme témoin. Or l’Encyclopédie a ce sort d’avoir été faite par des hommes supérieurs, par des hommes de moyen ordre, par des hommes médiocres et par des hommes un peu au-dessous de la médiocrité. Ici c’est l’Esprit des lois, ici c’est les Considérations sur les mœurs, ici c’est le Journal de Barbier, et ici c’est un almanach. Elle est donc la représentation exacte de la France pensante ou croyant penser de 1750 environ. Elle est, à en prendre comme la moyenne, l’opinion même de la France émancipée et curieuse de nouveautés vers le milieu du XVIIIe siècle. Il n’y a pas, à ma connaissance, un autre ouvrage au monde qui ait ce caractère. C’est un document historique absolument unique en son genre.

Aussi, s’il n’est pas très raisonnable de chercher l’esprit de la Révolution française dans les œuvres de Montesquieu, de Rousseau et de Voltaire, il l’est un peu plus, sans qu’il le soit