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L’ENCYCLOPÉDIE.

et de l’instrument mathématique, doit étudier le monde matériel.

Mais pourquoi ? Pour augmenter le bien-être de l’humanité. Rationnel, scientifique et, en dernière analyse, pratique, tel doit être l’esprit nouveau. L’Encyclopédie, non seulement s’est défiée de l’idéal en général ; mais elle s’est défiée de l’idéalisme scientifique. L’idéalisme scientifique existe. C’est cette « haute curiosité » dont aimait à parler Renan. C’est la curiosité désintéressée. C’est le goût de connaître les secrets du monde pour les connaître. Il n’y a rien de plus noble que cet idéalisme du savant désintéressé. Il travaille pour rien, et c’est ce qui fait la beauté de son travail. Faire quelque chose pour rien est ce qu’il y a de plus ridicule et puéril, ou de plus haut et de plus magnanime, dans la vie humaine. C’est quelque chose pour rien que le jeu, la chasse et la conversation des femmes, comme dit Pascal ; c’est quelque chose pour rien que la curiosité scientifique et le travail de l’artiste et la spéculation du métaphysicien. Entre ces deux manières de travailler pour un objet inutile ou très éloigné et qu’on ne voit pas, et de faire de l’inutile ou de l’utile à échéance indéfinie, se place le travail pratique, à objet précis, prochain, visible et vu. C’est à celui-ci que L’Encyclopédiste réserve son approbation. Certes il n’a pas tort ; mais il n’a pas assez raison. Il ne tient pas compte et des instincts mêmes, probablement éternels, de l’humanité, et de ses intérêts véritables. L’homme, qui a inventé le jeu, a un besoin d’employer son activité à quelque chose qui n’ait pas d’objet, et, si on lui interdit le jeu supérieur, c’est aux jeux bas ou au moins frivoles qu’il aura recours. Et, de plus, les travaux sans but immédiat se trouvent toujours les plus utiles en dernière analyse et au dernier terme. De la curiosité mathématique est venue la mécanique qui a transformé la terre, l’astronomie qui a ouvert et agrandi l’univers aux yeux de l’homme, sans compter tous les instrumens qui ont permis à l’étude de la nature d’être autre que superficielle et grossière. Pasteur commence par les études et les travaux les plus désintéressés qui puissent être, il finit par les découvertes les plus utiles, les plus pratiques et les plus bienfaisantes qui aient jamais été, et sa vie, à cet égard, représente la suite même et la succession de La science. Le savant désintéressé travaille pour sa satisfaction de travailleur et de chercheur et pour un résultat pratique qu’il verra peut-être, que très probablement ne verront que ses successeurs très éloignés ; et peu lui importe.