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C’est cette placidité de la science pure que les encyclopédistes ont peu connue et peu recommandée. Ils sont impatiens et réalistes. Ils veulent, grands travailleurs du reste, le travail à objet prochain et à récompense immédiate. Ils ne croient pas assez à la vertu propre de la pensée pour la pensée et aux chances qu’a la pensée pure, de devenir un jour pensée applicable et appliquée. Ils se disent que ce n’est qu’une chance, en quoi ils ont raison, et que, par conséquent, compter ainsi est une imagination, et ils n’aiment point l’imagination. Cela est d’assez bon sens ; mais c’est trop de bon sens moyen, et c’est ainsi qu’on rétrécit le champ d’activité du genre humain. Il faut semer plus largement. Une partie des graines ira dans les cailloux et dans les ronces, une partie seulement dans la bonne terre. Mais, à rétrécir le geste, on habitue l’homme à se confiner dans ses préoccupations locales et éphémères ; on le détourne des grands espoirs et des vastes pensées ; on lui ferme l’avenir ; on rapproche de lui son horizon ; on le rend plus petit et on l’habitue à se complaire dans sa petitesse. L’homme ne vit qu’un jour ; mais, à l’habituer à ne vivre par la pensée que ce jour même, on rend ce jour plus court encore et plus vide. L’homme a une manière de se dépasser ; elle consiste à vivre dans ce qui l’a précédé et dans ce qui le suivra, sans négliger le temps où il est. Par son mépris du passé et par son indifférence relative à l’égard de l’avenir, l’Encyclopédiste rend à l’homme le mauvais office d’abréger la vie humaine.


III


Puisqu’ils sont si pratiques, suivons les Encyclopédistes dans leur œuvre pratique et dans ce qu’ils ont fait pour le temps même où ils ont vécu. Ici nous aurons de très grands éloges à leur adresser. Ils se sont attachés à dénoncer les imperfections et abus de la législation et de l’administration française et ils n’ont pas fait, en cette matière, un mauvais travail. D’abord et avant tout, ils ont représenté comme extrêmement arriérée et comme véritablement barbare la législation pénale de leur temps. Ils ont été, ici, guidés par deux idées, l’une négative, l’autre positive, qui toutes deux sont assez justes. D’une part, croyant très peu au