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L’ENCYCLOPÉDIE.

mystiques. Il aime à respecter, à vénérer avec étonnement et terreur, et respecter et vénérer avec étonnement et terreur est peut-être la définition même d’adorer. Donc il aime que ce qu’il adore ne soit pas clair. Il se plaît aux bornes mêmes de son intelligence et de son savoir, et il aime à s’incliner devant les ténèbres de l’inconnaissable et de l’inintelligible, et son humilité trouve des délices à s’étonner et à se confondre de la sorte. Le mystère particulier qu’on lui enseigne est pour lui une formule, du mystère général des choses qui le dépassent de toute l’infinité du monde. Il lui rappelle qu’il y a de l’insondable, et c’est une pensée dont il lui plaît de se pénétrer. Il n’aime pas être en familiarité avec Dieu, ni avec la création. Il les sent inaccessibles à notre vue faible, et il aime à les sentir ainsi. Un Dieu démontré est quelque chose que l’on vient de trouver au bout d’une méditation ou d’un raisonnement, et c’est donc quelque chose qui vous appartient comme la page que vous venez d’écrire ou un objet d’art que vous venez de fabriquer. Il déplaît infiniment à l’esprit religieux, à l’homme qui veut adorer, d’être si près de l’objet de son culte et à tel point qu’il ne saurait pas si son culte ne s’adresserait pas à lui-même. Donc il ne déteste pas qu’on multiplie les nuages redoutables entre lui et l’objet de son adoration. Il sent qu’on ne fera jamais Dieu trop compliqué, puisque, aussi bien, il l’est infiniment ; il sent que le « mystère » ecclésiastique, si obscur qu’il soit, n’est qu’une image du mystère universel qui nous entoure et du mystère initial du principe des choses. D’où vient que le mystère ecclésiastique, non seulement ne lui répugne point, mais lui agrée, et répond précisément à sa nature d’esprit.

Il y a dans cet état d’âme de l’humilité, du respect, le sentiment de l’infirmité humaine, le sentiment de la grandeur de l’univers, le sentiment de l’infini, et c’est-à-dire tout ce qui est le plus contraire et tout ce qui est le plus antipathique à ces Messieurs de l’Encyclopédie. Ils ont l’esprit clair, ils aiment trouver les choses très claires, et ils ne sont pas respectueux. Ils aiment tant démontrer, et ils démontrent infatigablement, et ils n’aiment ni reconnaître la faiblesse de l’esprit humain ni l’incliner devant quoi que ce soit au monde. Athées ou déistes, ils ne sont pas, pour autant, très éloignés les uns des autres. Athées, ils démontrent l’athéisme ; déistes, ils démontrent Dieu. Dieu démontré n’est pas leur ennemi et n’est pas pour leur déplaire.