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VI


Et ceci nous ramène à la politique. Un seul mot sur ce point. Quelles ont été les idées des Encyclopédistes en politique proprement dite ? Il est incroyable combien en cela, non seulement ils ont été peu « avancés, » c’est-à-dire peu proches de nous, mais combien ils ont été rétrogrades. Les Encyclopédistes, — comme Voltaire, — sont des aristocrates, des autoritaires, des monarchistes et des despotistes, et j’ai pris plaisir à voir que M. Ducros est sur ce point absolument de mon avis, et du reste il suffit de lire.

Rien n’égale leur mépris pour le peuple, ou, si vous aimez mieux, leur conviction que le peuple est un incapable, et, comme dira plus tard cet effronté de Joseph de Maistre, « toujours fou, toujours enfant, et toujours absent. » Ce n’est pas Voltaire seulement qui dit « qu’il faut abandonner l’infâme aux laquais et aux servantes, » et que tout « est perdu quand la canaille se mêle de raisonner ; » c’est Diderot, c’est « le fils du coutelier de Langres, » comme dit méchamment M. Ducros, qui écrit : « Les progrès des lumières sont limitées. Elles ne gagnent guère les faubourgs : le peuple y est toujours trop bête. La quantité de la canaille est à peu près toujours la même… La multitude est toujours ignorante et hébétée. » Ils n’ont jamais eu l’idée, non seulement d’une égalité de conditions, — et ce n’est pas de cette idée que je les féliciterais, ni de ne pas l’avoir eue que je les blâme, — mais d’une diminution même de l’inégalité des conditions. Être égaux devant la loi, « également liés et également protégés par les lois, » c’est tout ce qu’il faut et rien de plus. Quant à la participation de tous à la création de la loi, c’est une idée de Rousseau, où les Encyclopédistes ne sont point entrés et dont ils n’ont même pas approché. Ils sont aristocrates par leurs goûts, par leurs habitudes, par leurs fréquentations et commerces, par leur caractère ; un peu vaguement ils le sont par leurs idées, non pas en ce qu’ils rêvent de restaurer l’aristocratie française qui décline, mais en ce qu’ils songent obscurément et sourdement à la remplacer. Ils prévoient un avenir où, comme dit Voltaire, « les premières places seront