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propositions qui lui étaient faites. On rêve de séduire Bonaparte. Hoche sera, de son côté, l’objet de ces tentatives de corruption[1]. On essaie de même auprès de Moreau, quand il commande l’armée de Rhin-et-Moselle. Au cours des préliminaires de Léoben, le ministre autrichien Thugut envoie le colonel Vincent au quartier général des alliés en lui recommandant, de saisir toutes les occasions de nouer avec Moreau des liaisons qui, « dans la position où sont les différens partis en France, pourraient conduire à une intelligence plus ou moins avantageuse pour le cas où il faudrait reprendre les Hostilités. Vincent devra aller chez Moreau sans affectation et sans que ces messages excitent de la sensation ; » Il n’est donc pas étonnant que Condé ait songé à se mettre en rapports avec Pichegru.

Mais, pour entamer l’affaire, il fallait un homme courageux et habile ; courageux, car se faire auprès d’un général républicain l’organe du parti des Bourbons, c’était jouer sa tête ; habile, parce qu’il importait de ne pas offenser Pichegru en lui faisant des offres qui pouvaient lui laisser croire qu’on doutait de son désintéressement. Pour le malheur de la cause royale, Condé, esprit crédule et borné, particulièrement impropre à juger les hommes, porta son choix sur Roques de Montgaillard. Il le connaissait depuis peu. Montgaillard lui avait été présenté quelques mois avant à Bruchsal où était cantonnée la petite armée royale. Séduit par sa faconde, frappé des appréciations que lui inspiraient les affaires du moment dans des brochures publiées à Londres et en Suisse, il avait voulu l’avoir à sa portée. Sur l’instant désir du prince, Montgaillard s’était fixé à Lerach, puis à Munfelden dans le pays de Bâle.

De là, il correspondait avec Condé, lui révélait l’état de l’Europe, l’éclairait sur les dispositions des cours, qu’il prétendait connaître, s’offrait à servir les Bourbons, donnait des conseils, tout en protestant de son dévouement, à la monarchie. Cet homme au teint pâle, « contrefait de corps et l’air d’un juif portugais, » prit, dès le premier moment, une active influence sur

  1. Je n’en connais aucune trace écrite. Mais je tiens du marquis des Roys, petit-fils de Hoche, que sa grand’mère, veuve du général et qui lui survécut soixante-deux ans, racontait souvent s’être trouvée au quartier général de Sambre-et-Meuse quand s’y présenta un émissaire royaliste chargé de propositions. Elles consistaient en honneurs et privilèges et deux millions. Hoche, après avoir écouté, montra la porte au visiteur en le menaçant de le faire fusiller, s’il osait revenir. Ce visiteur éconduit, quel qu’il fût, ne s’est jamais vanté de sa déconvenue.