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Strasbourg, lui ou Beaufort, « dût-on crever les chevaux. » Il est urgent que Fauche, qui a reçu des fonds de Wickham[1], les porte à Pichegru « à qui j’écris lettre sur lettre. » Tout est à la joie, car tout va éclater. Le 28, c’est une autre antienne. A quoi rêve Pichegru ? Sa conduite est déconcertante. Il vient d’établir un camp sous les murs d’Huningue et il a signifié au Sénat de Bâle que, s’il ne gardait pas mieux ses frontières contre les Autrichiens, il les gardera lui-même. C’est à n’y rien comprendre « et tout cela est bien grave. » Le 1er octobre, Pichegru « est venu à Bâle en poste pour passer la nuit chez Mme de Salmon, dont il est profondément amoureux. Il est reparti hier à cinq heures du matin. » En l’annonçant au prince, Montgaillard ajoute : « Je regrette qu’il n’ait point encore les fonds qui lui sont nécessaires. » Du reste, il a écrit au général une lettre encore plus pressante que les autres. « Je regarde comme impossible que cette démarche ne le force à agir. »

Cette correspondance de supercherie et de mensonge va se continuer ainsi monotone, inventive, toujours vide, pleine de réticences et d’aveux involontaires, épuisant l’imagination de Montgaillard qui, le 25 octobre, après avoir prétendu que, la veille encore, il a écrit à Pichegru et à Badouville, déclare qu’il ne leur écrira plus. « Je tremble que cette fréquence de correspondance ne compromette l’affaire. Si, malheureusement, une seule lettre était interceptée, on pourrait avoir des soupçons. Prière à Fauche d’écrire le moins possible. » Néanmoins, il persiste à prétendre que « tout va bien ; » il le répète à satiété ; il l’affirmera encore le 30 décembre et s’attirera cette réplique dédaigneuse et sèche de Condé : « Je ne vois point encore le succès s’avancer d’une manière aussi rapide que paraît le croire M. Pinault (Montgaillard). »

Tout cela n’est-il pas assez clair ? N’est-ce pas évident qu’à cette date, les agens n’ont encore rien obtenu de Pichegru et que,

  1. Dans ses Mémoires imprimés, Fauche-Borel affirme que, le 18 septembre, Courant, en partant pour Strasbourg, reçut de Condé mille louis, et que Wickham lui délivra à lui-même un crédit de huit mille louis sur ses banquiers de Lausanne. Mais il résulte de son récit que Pichegru ne toucha rien de ces sommes. « Je te prévins, écrit Fauche, que j’avais avec moi les fonds nécessaires aux premiers besoins de son armée. » C’est tout ce qu’il en dit, avant de raconter comment il dépensa lui-même cet argent en frais de propagande dans l’armée, ce qui n’est peut-être pas plus vrai que la plupart de ses autres affirmations. A remarquer encore qu’en racontant sa visite à Wickham, il évite de dire que Fenouillot était avec lui et affecte de s’en attribuer à lui seul tous les mérites.