Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 1.djvu/893

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

restauration des Bourbons n’était pas alors considérée comme impossible. Elle l’était si peu, qu’il est admis aujourd’hui que, si les émigrés n’eussent, par leurs folies, découragé les dispositions d’un grand nombre de citoyens résidant à l’intérieur, elle se fût probablement opérée. En ces conditions, on peut supposer que Pichegru, en écoutant les émissaires de Condé, en ne les repoussant pas avec indignation, n’a peut-être voulu que se ménager en vue du lendemain. S’il a vu pour son pays en danger une chance de salut dans le rétablissement de la monarchie, il est compréhensible qu’il ne se soit pas jeté au travers des efforts royalistes et qu’il se soit même déclaré prêt à les seconder. Rien ne tenait plus ; tout était compromis et menacé ; c’eût été son droit de citoyen d’appeler de ses vœux un régime nouveau et réparateur, à la condition cependant de ne pas en favoriser le triomphe par la violation de ses devoirs militaires et en ouvrant à l’étranger sa patrie. Or, à cela, il s’est toujours refusé. La preuve en est, non seulement dans sa conduite militaire, mais encore dans tous ses propos, dans ceux, même que lui prêtent Montgaillard et Fauche-Borel.

« Je ne veux pas être le second tome de Dumouriez, dit-il et répète-t-il, à les en croire ; rien de partiel. Qu’on ne fasse rien de décousu ou on perdra la chose. Qu’on entreprenne l’esprit public autant que possible jusqu’à ce que j’aie trouvé le moment favorable d’éclater. J’ai mon plan ; il comprend tout, je l’exécuterai ; qu’on me laisse faire et qu’on soit sans inquiétude sur les moyens que je croirai, d’après les circonstances, devoir prendre, malgré qu’ils paraîtront ne pas coïncider avec les vues qu’on a de l’autre côté. » Ces idées le hantent ; il y revient sans cesse : « Qu’on ne se presse pas, qu’on ménage l’opinion ; qu’on ne parle pas d’ancien régime, qu’on ne parle que d’oubli, ni de punir personne. Une fois le roi en France, il sera le maître de faire ce qu’il voudra et je ne me mêlerai plus de rien. » Enfin, d’après le rapport de Fauche-Borel d’où ces paroles sont tirées, il dit une autre fois : « Le Roi, le prince et les émigrés ne pourront jamais nie faire un reproche fondé. J’ai défendu le territoire français ; je le rendrai intact à Sa Majesté. Je ne désire ni grâces, ni récompenses… J’espère que La Fayette et Dumouriez ne sont point dans ce que vous êtes chargé de me dire. »

Si Fauche-Borel a été plus véridique ici qu’il ne l’a été ailleurs, ce qu’il n’est pas en notre pouvoir d’affirmer, nous voilà