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leurs compatriotes que les garanties sont tout autres aux Etats-Unis, où le pouvoir est décentralisé et exercé à tous ses degrés par des représentans élus de la race autochtone, qu’elles ne le seront aux Philippines, avec la centralisation et la tutelle étrangère ? La Commission d’enquête aura beau plaider : elle ne prouvera point l’identité des vœux des Philippins avec les principes qui l’ont guidée dans son œuvre ; tous ses raisonnemens n’aboutiront qu’à souligner le malentendu, irrémédiable peut-être, qui sépare les Etats-Unis de leurs nouveaux sujets.


IV

Il n’y a pas seulement incompatibilité d’humeur et contradiction d’aspirations ou d’intérêts entre les Américains et les Philippins : on peut se demander même si les premiers possèdent, dans leurs traditions et leur expérience personnelles, les ressources nécessaires pour résoudre les questions politiques ou sociales les plus compliquées et les plus délicates qui se posent dans l’Archipel. Ce n’est pas trop dire, en effet, que plusieurs de ces questions leur sont entièrement étrangères : pour les traiter, ils devront dépouiller le vieil homme qu’ils sont déjà, après un siècle de vie nationale.

Ils sont à l’aise, il est vrai, en ce qui concerne le péril jaune, Ce péril se présente aux Philippines dans les mêmes conditions que sur la côte ouest de l’Océan Pacifique. Sous la domination espagnole, l’immigration chinoise était déjà de 10 à 12 000 individus par an ; les deux tiers seulement repartaient chaque année, si bien qu’il subsiste dans l’archipel un stock de 40 000 Célestes, dont la moitié habite Manille. Les Chinois sont, là comme ailleurs, d’excellens ouvriers, peu exigeans quant aux salaires, et d’une extraordinaire sobriété ; si la demande de main-d’œuvre vient à augmenter par le développement industriel de l’île, l’exploitation des mines, etc., leur nombre ne pourra que croître dans des proportions considérables. Comme ils ont aussi de remarquables aptitudes pour le commerce et la banque, en dépit de leur amour invétéré du jeu, ils sont, aux Philippines autant qu’en Amérique, exécrés des autochtones, qui aiment le plaisir, la parure et les vices élégans. L’Espagne, pour protéger ses nationaux contre une concurrence aussi désastreuse, avait astreint les Chinois au paiement d’une taxe mensuelle