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J’ai encore sous les yeux le rapport de mes opérations depuis le 25 septembre 1793 jusqu’au 12 janvier 1796, et je défie qu’on y trouve, etc., etc. » On est confondu par un tel excès d’effronterie et d’impudence dans le mensonge. Le rapport dont parle Fauche-Borel est en notre possession. Il y est dit : « Lorsqu’on vit que Mannheim allait être cerné, Pichegru s’occupa de la garnison qu’il voulait y laisser. Il la composa des troupes dont l’esprit était le plus mauvais, de celles sur lesquelles il pouvait le moins compter. » En voilà assez pour prouver que le récit de Montgaillard, en ce qui touche cette affaire de Mannheim, s’est bien réellement inspiré des dires de Fauche-Borel et que, dans la circonstance, c’est bien celui-ci qui ment une fois de plus, comme il a si souvent menti, et comme il mentait en attribuant à Pichegru un projet qu’il a lui-même inventé de toutes pièces.

Dès le 23 octobre, le Comité de Salut public avait écrit au général : « Si votre armée était forcée de reculer, il ne faudrait point pour cela abandonner Mannheim. Il faudrait y tenir avec la dernière opiniâtreté, au risque même d’avoir la garnison prisonnière. Mettez dans celle place un commandant intrépide qui soit résolu de défendre la brèche et de ne point se rendre. Le général Desaix nous paraît convenir. Qu’on jette des subsistances dans la place. Qu’on en fasse sortir, s’il est nécessaire, toutes les bouches inutiles, car, si l’ennemi vient à reprendre cette ville, voilà tout le fruit de la campagne perdu ; plus de passage pour nous, et l’ennemi maître de se déployer à son aise, à l’aide de ces forteresses de Mayence, Mannheim, Ehrenbreitstein. Mannheim est une place très forte ; on peut faire des blindages pour mettre des subsistances à l’abri, et il est à présumer de plus que l’ennemi ne voudra pas bombarder cette belle ville, qui lui appartient. Pour conclusion, à quelque prix que ce soit, il faut que cette place nous reste et ce sera chose facile, puisque ; Jourdan ne tardera pas à venir la délivrer. Si elle ne se rend point aux sommations de l’ennemi, celui-ci, ne pouvant avoir l’artillerie et les autres moyens nécessaires pour en faire un siège régulier, n’aura rien de mieux à faire que de se retirer, sous peine d’être serré entre les deux armées de Rhin-et-Moselle, d’une part, et de Sambre-et-Meuse, de l’autre. »

Dans ces prévisions optimistes, on devine la pensée de Carnot. Du fond de son cabinet, loin du théâtre de la guerre, il dresse des plans fondés sur des hypothèses qui ne se réaliseront