Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de distributions d’argent faites parmi les troupes, il faut conclure de ces contradictions ou que Pichegru a gardé pour lui ce qui était destiné à son armée, — hypothèse que dément son désintéressement légendaire, — ou que Fauche-Borel a menti cette fois encore, ce que ces précédens mensonges rendent singulièrement vraisemblable et ce que permet de penser une lettre de Demougé, écrite le 21 mars 1796.

À cette date, Demougé annonce à la baronne de Reich que le général, prêt à partir pour Paris, a accepté des fonds. En les attendant pour les lui remettre, il se réjouit de son acceptation comme d’un succès et comme si cette acceptation se produisait pour la première fois. « J’en suis ravi, car il est probe, et ce n’est pas pour rien faire qu’on ose prendre ainsi. » D’autre part, il écrivait à Klinglin, peu de jours avant : « Il faut se défendre de supposer à Pichegru une extension de moyens qu’il travaille à acquérir, qui ne sont pas encore à lui dans la plénitude nécessaire et dont on ne peut, ce me semble, sans un grand danger, faire usage avant qu’il lui soit bien connu qu’il peut réussir ou, pour mieux dire, que le succès ne peut être incertain. »

Toute sa correspondance est dans le même ton, prometteuse, pleine d’inventions, de suppositions, d’espérances sans pouvoir annoncer jamais rien de définitif. — 14 février : « Pichegru a travaillé et travaille toujours à s’attirer une confiance illimitée et aveugle de son armée. Ses soldats disent hautement qu’ils iraient en enfer avec lui. » — 21 février : « A Lauterbourg, la garnison a foulé aux pieds la cocarde tricolore, pris la blanche et crié : Vive le Roy ! Notre alla ire peut éclater d’un moment à l’autre » 1er mars : « J’attends l’argent, car Pichegru va en avoir besoin pour une expédition préparatoire et de haute vue qu’il m’a confiée dans le plus grand secret. » 3 mars : « J’ai vu Pichegru. Il m’a mis dans des secrets qui vous étonneront. Il a demandé un congé d’un mois. Il a allégué des affaires dans l’intérieur, chez lui. Je lui ai offert des fonds pour le voyage et il a accepté. Donc, pour qu’il les ait, il faut que je le revoie, et je le soutirerai jusqu’au sang. Que croyez-vous que je doive lui donner pour cette conséquente démarche ? Je pense qu’il me l’indiquera lui-même, surtout s’il se propose de répandre de l’argent dans Paris. » 5 mars : « J’ai coulé hier soir une main à fond avec mon aimable Poinsinelle (Pichegru), qui enfin s’est décidée il venir dans mon cabinet. Je suis, comme vous pensez bien, plus savant que