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« brigand » de la Loire veuillent continuer sous nos yeux le duel qui les mit aux prises durant vingt ans. Il y a plaisir et profit à les opposer, comme en un diptyque où ils incarneraient la Révolution et la contre-révolution.


I

Les deux gros volumes de M. Madelin attestent chez le jeune historien un tempérament de bénédictin, une conscience exacte, des facultés d’analyse qui font pardonner un peu d’encombrement et quelques redites dans sa composition touffue. Il a épuisé toutes les sources, imprimées ou manuscrites, il a vécu plusieurs années dans l’obsession de son sujet. Les arbres ne doivent jamais empêcher de voir la forêt, on serait tenté de le rappeler à M. Madelin, si l’on ne se souvenait qu’il a écrit pour une soutenance de thèse, et qui ? cette fin exige de longs développement, une épaisse cuirasse sur l’hoplite qui va guerroyer en Sorbonne.

La thèse du savant docteur, puisque thèse il y a, est celle-ci : le diable de Nantes n’était pas si noir qu’on l’a fait ; on peut plaider pour lui les circonstances atténuantes. Et son biographe les plaide, oh ! sans beaucoup d’assurance. Il faut croire que cette propension à l’indulgence est l’effet naturel d’un commerce prolongé avec Fouché : M. Madelin y a glissé, comme avant lui la princesse de Vaudémont et tant d’autres belles dames, tant d’hommes d’Etat et de princes de sang royal. A vivre si longtemps dans la tanière de son renard, notre auteur s’est habitué à l’odeur de la bête : il ne la juge pas si fétide. Nous serions très portés à croire un avocat qui connaît la en use mieux qu’homme du monde et en parle sans l’ombre de passion : mais nous donne-t-il des raisons qui nous persuadent ? On en décidera quand j’aurai fait un résumé fidèle de ses investigations.

En septembre 1792, Joseph Fouché a trente-trois ans. Issu d’une famille de petits armateurs nantais, sa complexion délicate l’a détourné de l’état paternel. Engagé de bonne heure dans la congrégation enseignante de l’Oratoire, il y a noué d’utiles amitiés avec des confrères qu’il retrouvera dans d’autres compagnies, Daunou, Le Bon, Malouet. Parmi les maîtres et les élèves de la célèbre maison de Juilly, le jeune physicien s’est acquis une réputation de savoir et de bonhomie qui égale presque celle du Père le plus populaire, « le bon Père Billaud, » aliàs