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Le flair de Fouché ne s’y trompe pas : il sera l’un des sinistres acteurs qui s’en iront jouer le drame en province.

M. Madelin nous remémore les fastes de ce proconsulat, à Nantes, à Dijon, à Troyes, à Ne vers, à Moulins, à Lyon : « Il avait, deux ans avant Babeuf, tenté de rendre communiste la politique révolutionnaire ; deux ans après la constitution civile du clergé, il avait voulu fonder l’athéisme officiel… Son passage restait marqué dans trente départemens en caractères de feu et de sang, au milieu des ruines de l’ordre politique, social et religieux. » Dans la Nièvre et dans l’Allier, Fouché applique le programme de la « Révolution intégrale, » comme il dit le premier, le programme de son ami Anaxagoras Chaumette. Il ordonne la révision des fortunes, il signale à la vindicte populaire les riches, « reste de limon déjà vomi par la République. » Il écrit au comité de Moulins : « Je suis étonné, citoyens, de votre embarras : il vous manque des farines, prenez-en chez les riches aristocrates. » — « Du fer, du pain, et quarante écus de rente, c’est tout ce qu’il faut à un républicain ! » s’écrie l’homme qui laissera une fortune personnelle estimée à vingt millions. « On rougit ici d’être riche… Avilissons l’or et l’argent ! » mande-t-il avec un sérieux imperturbable au Comité de Salut public, en lui envoyant des caisses de métaux monnayés, de vaisselle, de bijoux, de vases sacrés.

Les trésors des églises ont été vidés, « les emblèmes de la superstition » enlevés, ou détruits sur les bûchers autour desquels l’ex-oratorien mène les danses des patriotes. L’arrêté du 9 octobre 1793 prescrit d’anéantir toutes les enseignes religieuses qui se trouvent sur les routes, places, et généralement dans tous les lieux publics : un article interdit aux prêtres le port du costume ecclésiastique en dehors de leurs temples. Je relève celle imagination charmante : « Dans chaque municipalité, tous les citoyens morts, de quelque secte qu’ils soient, seront conduits au lieu désigné pour la sépulture commune, couverts d’un voile funéraire sur lequel sera peint le sommeil… » Remarquons les considérans de l’arrêté : « Considérant que le peuple français ne peut reconnaître d’autre culte que celui de la morale universelle… » Il a déjà tout inventé, tout ; prévu, ce pâle professeur. Mais le rare est son indifférence raisonnable pour la folie de destruction où d’autres s’abandonnent par fanatisme, par vengeance, par délire de patriotisme ; lui, il s’en acquitte comme