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des plus démonstratifs. En quelques secondes, les prisonniers avaient les menottes aux mains et étaient conduits à la prison sous bonne garde. Aussitôt leur exaltation est tombée. Deux ou trois jours plus tard, on les a vus devant le tribunal correctionnel : ce n’étaient plus les mêmes hommes. Gênés, embarrassés et timides, ils discutaient minutieusement les faits à leur charge : on s’attendait à ce qu’ils s’en glorifiassent. Ils cherchaient des excuses, au lieu de prendre hardiment la responsabilité de leurs actes. Combien auraient-ils été différens, si la troupe s’était laissé émouvoir par leurs provocations ! Depuis lors, d’autres chefs du mouvement ont été arrêtés. La physionomie de Chalon s’est transformée en quelques heures ; elle est redevenue tranquille en apparence ; le travail a même repris dans les usines ; mais il serait imprudent de trop se fier à cet aspect superficiel des choses. Une vive émotion continue de régner dans les cœurs. Peut-être a-t-on cru tout d’abord que Montceau relèverait le gant qui avait été jeté à Chalon : en ce cas, on s’est trompé. Il y a bien eu, à Montceau, des velléités d’arborer le drapeau de la révolution : les meneurs de la grève ont désavoué ces manifestations, qui ont pris fin instantanément. Mais on semblait attendre quelque chose, et, si aujourd’hui est calme, personne n’est assuré de ce que sera demain.

Ce qu’on attendait à Montceau, c’est la résolution qui devait être prise par le Comité fédéral national des ouvriers, réuni à Saint-Étienne. La question posée au Comité était de savoir s’il fallait proclamer la grève générale. Ici encore, les organes les plus importans du parti socialiste ont prêché la prudence. Ils ont dit clairement que l’heure n’était pas encore venue de recourir à cette ultima ratio, à cette dernière ressource des ouvriers contre les patrons. Mais les ouvriers commencent à se demander si cette heure viendra jamais. On la leur annonce sans cesse, et ils ne l’entendent pas sonner. Peu à peu leur patience se lasse, et, avec cet instinct de défiance qui est inné en eux, ils se demandent si on ne les trompe pas. Quand donc, pensent-ils, l’occasion sera-t-elle meilleure ? M. Millerand n’est-il pas ministre ? Le gouvernement n’est-il pas forcé, par sa composition même et par la politique qu’il suit, de s’appuyer sur les élémens les plus avancés de la gauche radicale et socialiste, c’est-à-dire sur leurs représentans à eux, sur leurs mandataires, sur les hommes qui sont entrés à la Chambre pour y apporter leurs revendications en promettant de les faire prévaloir ? Et rien ne vient ! M. Millerand a bien déposé un certain nombre de projets ; mais, outre qu’on n’est pas fixé sur leur valeur intrinsèque, on commence à se demander si la discussion en