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une certaine anxiété, mais je n’avais pas à insister, assuré qu’il ne la perdrait pas de vue, et sachant que le ministre des Affaires étrangères se trouve souvent en présence d’incidens qu’il connaît seul et dont il doit tenir compte avant de prendre une décision sous sa responsabilité. Or, en ce moment, la réserve de M. de Freycinet était, en effet, motivée par ses pourparlers avec le gouvernement anglais : nous croyions voir, de ce côté, quelques tendances conciliantes, et elles eussent été si avantageuses pour notre politique générale et pour la cause grecque, qu’il était sage de ne pas compromettre cet espoir, si faible qu’il fût, par des démarches prématurées. Nous avions à cœur également de ménager les autres Cours et de ne rien entreprendre seuls qu’à l’heure où il nous serait tout à fait impossible de faire autrement. Enfin, le président du Conseil rencontrait, chez plusieurs de ses collègues, certaines hésitations, sinon sur notre refus de participer aux actes coercitifs, du moins sur notre intervention spéciale en dehors du concert européen. Sa résolution était donc suspendue jusqu’au moment où il serait manifeste qu’elle était l’unique moyen de terminer le différend sans coup férir.

Notre attitude demeurait ainsi expectante pour tant de raisons sérieuses, lorsque le développement des faits vint troubler nos patiens efforts. Nos échanges d’idées avec Londres furent inutiles, et par suite les Puissances s’affermirent dans leurs intentions rigoureuses : la conclusion définitive des affaires bulgares leur rendit leur pleine liberté d’action, la Russie ayant renoncé d’elle-même à son opposition d’abord si vive, et les parties s’étant mises d’accord sur la rédaction des documens conventionnels. La Turquie, dégagée de ce souci, accentua ses réclamations contre les Grecs plus fortement que jamais, et même en des termes qui faisaient craindre ; qu’au premier désordre sur la frontière, elle ne prît l’offensive. Le Parlement hellène, convoqué d’urgence, approuva les déclarations patriotiques du gouvernement et vota tous les crédits demandés : on prépara à Athènes l’appel des derniers bans de la réserve. Enfin, considérant qu’il y avait lieu de ne plus tarder davantage, lord Rosebery résuma en trois points le programme qu’il proposait à l’Europe : 1° injonction à la Grèce de réduire son armée au pied de paix et de répondre dans l’espace d’une semaine ; 2° en cas de refus, départ des ministres accrédités auprès du Roi ; 3° blocus des côtes orientales et du golfe de Corinthe par les escadres.