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changé ; qu’est-il devenu, et ce qu’il est, comment l’est-il devenu ?

L’abolition des maîtrises a eu pour corollaire l’affaiblissement du compagnonnage, ou, si c’est trop dire, qu’elle l’eut pour corollaire, — ce qui implique une dépendance, — elle en fut du moins, selon la formule, précédée ou accompagnée ; les deux phénomènes se produisirent simultanément et se poursuivirent parallèlement, n’étant au bout du compte que deux aspects d’un seul et même phénomène, la transformation de l’industrie. Ni la maîtrise, ni le compagnonnage, faits à la taille et sur le modèle de l’atelier, ne pouvaient remplir le cadre si prodigieusement élargi de l’usine ; faits pour l’ancien régime du Travail, ni l’un, ni l’autre ne pouvaient s’adapter au régime nouveau. Le compagnonnage ne s’était jamais du reste étendu à toutes les professions ; il ne les avait jamais embrassées ou englobées toutes ; et, quoique son action se fît partout sentir, plus ou moins pesante et plus ou moins intermittente, il n’avait jamais, n’occupant en permanence que certaines villes, couvert l’ensemble du pays : ni unité de lieu, ni unité de plan, ni unité de rites. Il avait été, il était encore, et il était de plus en plus une organisation de lutte entre ouvriers de la même profession, compagnons et non compagnons, appartenant à un « devoir » ou à un autre, au moins autant qu’un instrument de combat contre les maîtres : — des coteries, et non une classe.

Dans le moment de sa force, cependant, un de ses défauts, et des pires, avait été de viser à monopoliser le travail, en accaparant la fourniture de la main-d’œuvre, en ne souffrant pas chez les patrons d’autres ouvriers que ceux qu’ils recevaient de lui, qui étaient à lui, et qu’il reprenait à sa convenance ; par là, le compagnonnage était encore, en de certains cas, le maître des maîtres, qu’il tenait à sa merci, et se libérer de sa servitude passait au rang de leurs plus grosses préoccupations. Cette libération, l’usine l’accomplit partout où l’usine est possible ; et si, plus tard, on devait voir renaître des servitudes semblables, celle-là n’en fut pas moins pour quelque temps détruite. Comme l’industrie concentrée réclamait, à poste fixe sur un point fixe, un personnel extrêmement nombreux, ce personnel, le compagnonnage nomade et limité ne pouvait le tirer de son propre sein : il lui fallut donc tolérer que l’on trouvât une place sans être affilié ; et donc, incompatible avec l’usine, le compagnonnage fut réduit aux seuls métiers qui précisément ne peuvent