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lecture de l’Apocalypse a tourné la tête, qui prêche la fin du monde imminente et les sévérités prochaines du Jugement dernier à des « compagnons » exaltés et bornés comme lui. Il est marié. Il a une fille, Hélène. Et il est persuadé que sa femme l’a trompé avec le seigneur du village, le père défunt du jeune baron Fritz de Biberstein, qui courtise Hélène en cachette. Ces données sont présentées avec beaucoup d’art, dans deux scènes très fortes entre Drews, le pasteur du village, et Mme Drews. La situation est vraiment saisissante. Quel tragique conflit, que celui de cette femme innocente qui s’est débattue pendant toute sa vie contre un soupçon qu’elle ne peut écarter, et de cet homme que l’orgueil sectaire a envahi, qui se considère comme un prophète et un justicier, qui mélange dans les ténèbres de son être bouleversé la rancune, la jalousie, la haine, avec une espèce de foi féroce et malfaisante ! Comme on sent bien, dès qu’il nous est connu, qu’un tel conflit, étouffé pendant des années sous le train-train des habitudes, doit éclater une fois, selon la logique des choses ! Comme on se demande avec angoisse de quelle secousse de la destinée il jaillira ! Comme on est prêt à s’intéresser à ces deux êtres dont l’un, ployé, écrasé sous le poids prolongé des soupçons, sera sans doute, tout à l’heure, à moins qu’un hasard ne fasse éclater la vérité, victime d’une vengeance injuste et tardive ! Superbe d’un bout à l’autre, le premier acte annonce de grandes choses. Mais voici que, dès le début du deuxième acte, on piétine sur place. Le baron de Biberstein continue à courtiser Hélène, qui l’écoute avec une excessive complaisance et chante de bien jolis lieds on pensant à lui ; des échos de la révolution qui gronde au loin arrivent à la forge, où ils se mêlent aux rêveries millénaires ; Drews préside des assemblées mystérieuses, explique la Bible, commente l’histoire, prophétise, fait des guérisons miraculeuses ; et, comme il tourne de plus en plus à l’apôtre, il décide de s’en aller avec ses compagnons en quête de leur patrie mystique, malgré les supplications de sa femme qu’il repousse brutalement.


DREWS. — Entre nous, il n’y a plus rien de commun ! Persévère dans tes péchés, comme tu as vécu.

MADAME DREWS, sans voix. — C’est bien ! C’est donc fini ! Tu m’as vue pour la dernière fois !

DREWS, qui s’est approché de la table, et allume deux lumières, — Ne vois-tu pas que nous voulons rester entre nous ?