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indifférente de Paul : car il n’est pas le maître chez lui ; il accepte tous les caprices de sa femme ; il supporte auprès d’elle la présence continuelle du jeune docteur von Glyszynski, Polonais et snob, qui ne la quitte pas plus que son ombre ; et il n’est pas même jaloux, un peu par paresse d’âme, un peu parce qu’il est persuadé, ou veut l’être, qu’Hella est une femme de tête, incapable des entraînemens de la passion.

M. Warkentin est mort subitement. Le ménage, — avec Glyszynski, — arrive pour les obsèques : Hella, résolue à liquider au plus vite la terre d’Ellenhof qui ne serait pour elle qu’une gêne ; Paul plus hésitant, pris de remords depuis qu’il a reçu la nouvelle fatale, depuis qu’il sait qu’il ne reverra plus celui dont il a méconnu l’autorité et la tendresse. A peine est-il entré dans sa maison, à peine a-t-il revu les objets familiers de son enfance, et la bonne tante Claire, que tout le passé se réveille en son cœur. De minute en minute il redevient l’être qu’il a été, il retrouve son âme véritable, par-delà les obstacles qu’une vie artificielle a amassés entre elle et lui. En même temps, l’hostilité latente qui le sépare de sa femme s’accentue, éclate en des scènes où les deux époux semblent parler deux langues, tant leurs moindres paroles les révèlent différens. A la voix de tante Claire, les souvenirs se lèvent en foule ; l’ombre d’Antoinette, — si bien oubliée, — apparaît ; une comparaison s’esquisse entre elle et celle qui a pris sa place. Sans s’en douter, la bonne tante grossit ce flux de regrets et de rancunes, — simplement parce qu’elle exprime avec candeur l’étonnement que lui cause ce qu’elle voit :


TANTE CLAIRE. — Qu’est-ce donc que ce monsieur qui est venu avec vous ?

PAUL. — Clyszynski ?

TANTE CLAIRE. — Oui, ce jeune homme que j’ai fait monter ?

PAUL. — Mon Dieu ! c’est un ami à nous. Surtout à Hella.

TANTE CLAIRE. — L’ami de ta femme ?… Mais, mon Paul !…

PAUL, riant. — 0 tante, il n’y a pas de danger ! Tu n’as pas besoin de pensera cela ! Hella a de tout autres idées en tête que des idées d’amour, qui ne l’ont jamais tourmentée.

TANTE CLAIRE. — Mais qu’il soit venu ainsi, simplement ! L’as-tu invité ?

PAUL. — Que peut-on faire ? Il demeure chez nous.

TANTE CLAIRE, de plus en plus étonnée. — Chez vous ?

PAUL. — Nous luisons ménage ensemble, oui. Il désirait venir avec nous, et Hella a aussi pensé qu’on ne pouvait l’abandonner à lui-même. Autrement, il aurait fait des sottises. Il fait toujours des sottises… Pour moi, je n’y tenais pas. Mais quand Hella s’est mis quelque chose en tête…