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TANTE CLAIRE. — Ne le prends pas eu mauvaise part, mon Paul, mais je ne comprends pas très bien… N’es-tu pas le maître chez toi ?

PAUL, riant. — Le maître ?… Ma tante, Hella ne le voudrait pas, et, là-dessus, je dois lui donner raison.

TANTE CLAIRE. — Tout ce qu’il faut apprendre sur ses vieux jours !… Je suis trop bête pour cela !

PAUL. — Vois-tu, ma tante, ce sont des idées qu’on ne comprend pas bien à la campagne. Il faut d’abord s’en pénétrer peu à peu.

TANTE CLAIRE. — Et tu te trouves heureux de ces idées-là, mon Paul ?

PAUL. — Voilà quinze ans que je bataille pour elles !…


Tout ce qui se passe et tout ce qui se dit jusqu’à la fin du premier acte souligne le malentendu : Paul est d’accord avec sa tante, et sa femme n’est qu’une étrangère pour lui…

Les amertumes, les rancunes, les regrets ainsi semés poussent bien vite leurs germes dangereux. Hella ne s’en est pas d’abord aperçue : la résistance inattendue de son mari, dès qu’elle parle ; de vendre Ellenhof, l’éclairée Ils sentent autrement, ils ont d’autres attaches et d’autres fins, ils en arrivent à se demander s’ils se sont jamais compris. Leur existence, dès qu’ils y songent, leur apparaît à chacun sous un jour différent : Hella tient à son activité brouillonne, persévère à croire à l’utilité de ce qu’elle fait, de ce qu’ils représentent avec leur journal ; Paul en pressent la vanité, le caractère factice et mensonger. Il constate qu’ils vivent dans une agitation continuelle, sacrifiant leurs meilleurs amis sans avoir le temps de penser à eux-mêmes, sans pouvoir espérer un peu de repos. Hella ne demande qu’à continuer :

« Je n’attends aucun remerciement, aucune reconnaissance. Je fais ce que j’ai reconnu bien : c’est mon bonheur… »

C’est à peine si elle consent à s’attarder encore un jour ou deux à Ellenhof et si elle accorde un baiser aux fantaisies sentimentales de son mari, qui en est réduit à répéter ses plaintes à Glyszynski.

De telles rancoeurs, de tels désirs peuvent traverser sans y hisser de traces une âme flottante, qui retrouve bientôt son équilibre instable, en s’abandonnant au courant des jours. Pour qu’ils s’en emparent avec force, il faut qu’un être les incarne, leur donne l’énergie de la passion, les impose. Et voici qu’Antoinette arrive avec son mari, pour la visite de deuil. L’entrevue est gênée, glaciale :

— Acceptez mes cordiales condoléances, monsieur le docteur !

— Je vous remercie, gracieuse madame !…