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donner une satisfaction équitable aux divers intérêts que l’administration a pour mission de concilier. M. Thuillier, d’ailleurs, aurait sans doute considéré comme peu utilement employé le temps qu’il aurait passé à nos séances. Habitué à expédier rapidement les affaires d’intérêt privé ou de simple administration qui ne présentaient pas un intérêt politique, il jugeait d’ordre intérieur notre rôle. Nous étions chargés, semblait-il croire, de mettre en harmonie avec la lettre de la loi et avec les scrupules de la jurisprudence la forme des décisions que l’autorité administrative, jugeait utile de prendre. C’était une besogne de metteurs en page, de correcteurs d’épreuves, qui ne méritait pas l’attention d’un personnage capable de s’élever à l’appréciation de la portée politique d’une mesure. Quelques semaines plus tard, il fut nommé président de notre section ; le jour où il vint prendre, possession de son fauteuil, lorsqu’il apprit que nous avions deux séances par semaine, il s’écria, d’un ton de surprise et de commisération : « Hé ! mon Dieu ! Qu’en pouvez-vous faire ? » Il ne connaissait aucun de nous, et, quand on lui dit que le maître des requêtes chargé du rapport avait l’intention de combattre le projet, il ne sut attribuer une inconvenance aussi déplacée qu’imprévue qu’à un esprit d’hostilité systématique contre le régime impérial. Je fus pour lui un homme d’opposition, ce que l’on appelait alors « un échappé des anciens partis. »

Ce fut dans cette disposition d’esprit qu’il vint à la section de l’intérieur le jour où je devais faire mon rapport.

Avant de rue donner la parole, et comme pour prémunir la section contre ce que j’allais dire, M. Boinvilliers expliqua que l’affaire était très simple : il s’agissait de mettre le Grand Orient, dont le maréchal Magnan venait d’être nommé Grand Maître, en situation légale de contracter un emprunt. Tout le monde était d’accord. Il n’y avait pour le gouvernement que des avantages à consacrer par une mesure administrative l’harmonie qui existait entre la Franc-Maçonnerie et l’Etat, et on ne s’expliquait pas que le rapporteur, qui avait d’abord accepté le projet, eût tout à coup changé d’opinion. M. Boinvilliers laissait entendre que ce revirement ne pouvait être dû qu’à des influences extérieures. Je n’ai pas besoin de dire qu’en cela il se trompait.

Ce fut après ce préliminaire inusité que je dus prendre la parole. J’étais toujours très ému quand il me fallait parler.