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Patrie a été luxueusement monté. On serait presque tenté de reprocher à la Comédie-Française d’avoir trop bien fait les choses. La procession de l’avant-dernier tableau est magnifique et interminable. J’entendais autour de moi des réflexions : « C’est mieux qu’à l’Opéra… C’est le moment le plus impressionnant… » Ces réflexions sont de celles auxquelles il n’eût pas fallu donner lieu de se produire. La Comédie-Française n’a pas à entrer en concurrence avec l’Opéra. C’est faire tort à l’auteur au profit du décorateur, du costumier et du machiniste.

L’interprétation est, dans l’ensemble, trop raisonnable et trop sage. Ces choses ne doivent pas être débitées de sens rassis. Cette remarque faite, il faut dire que les rôles sont pour la plupart tenus de façon satisfaisante et avec autorité. M. Mounet-Sully est de grande allure dans celui de Rysoor ; M. Paul Mounet est un duc d’Albe effrayant à souhait ; M. de Féraudy est un sonneur Jonas tout plein de bonhomie. M. Albert Lambert a trouvé dans le rôle de Karloo une de ses meilleures créations : il l’a joué avec chaleur, et il s’est fait tout particulièrement applaudir au dernier acte pour une intonation d’une remarquable justesse. M. Le Bargy est l’élégance même sous les traits de La Trémouille. Mlle Brandès, qui vient d’être souffrante, n’était pas encore on possession de tous ses moyens le premier soir ; nul doute qu’elle ne retrouve par la suite la vigueur, l’élan, l’âpreté qui lui ont fait défaut. Mlle Leconte est gracieuse et touchante dans le rôle, d’ailleurs peu important, de doña Raphaële. Mlle Delvair a bien lancé sa tirade du premier acte.

M. Alfred Capus est un homme d’esprit, c’est un chroniqueur alerte, c’est un romancier ingénieux, c’est un auteur gai. Il s’est fait au théâtre même une place distinguée, sans pourtant s’y placer au premier rang. La Bourse ou la Vie n’est pas encore cet ouvrage qui classe définitivement son auteur. La pièce a fourni une carrière brillante, mais courte. Elle était mal conçue, mal venue par suite d’une erreur initiale de l’écrivain.

M. Capus intitule sa pièce : comédie. La situation qu’il y expose est des plus pénibles. Voici un jeune ménage très parisien et très gentil : Hélène et Jacques Herbaut, une honnête femme et un honnête homme de mari qui s’aiment bien tous deux, qu’on aime, qu’on reçoit partout, et qu’on estime. Ils ont tout pour eux : jeunesse, bonne grâce, situation mondaine, aisance. Seulement ils sont imprudens : ils ne se contentent pas d’avoir une vie facile et large ; il leur faut la grande vie ;