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ses contes et ses poèmes en prose, sont à la fois si charmans et si extravagans qu’on se demande s’il va, maintenant, s’efforcer de régler et de diriger le torrent de passions et d’images qui s’agite en lui, ou s’il ne va pas rester indéfiniment un génial bohème, quelque chose comme un Arthur Rimbaud russe, l’ébauche à jamais incomplète d’un grand écrivain.

Tout autre est le tempérament littéraire de M. Mérejkowski. Celui-là n’a rien d’un bohème, ni, non plus, d’un poète. Il a publié d’abord, voici trois ou quatre ans, un grand roman historico-philosophique, la Mort des Dieux, dont on vient de nous offrir une traduction française. Et, à ce propos, je ne puis m’empêcher de signaler l’étrange idée qu’on a eue de nous présenter cette Mort des Dieux comme pouvant intéresser les admirateurs de Quo vadis ; car Quo vadis est avant tout un roman chrétien, et dont la véritable signification apparaîtrait mieux encore aux lecteurs français si les traducteurs ne semblaient s’être plu à le « laïciser, » en supprimant la plupart des passages d’un caractère expressément religieux : tandis que la Mort des Dieux, au contraire, est un roman païen, où l’auteur non seulement nous raconte les rêves et les efforts de Julien l’Apostat, mais ne se fait pas faute de nous laisser voir qu’il déplore, avec son héros, la victoire définitive du « Galiléen. » Au reste, la Mort des Dieux est un mauvais roman, malgré quelques scènes d’une belle couleur. C’est une œuvre de débutant, inégale, confuse, et désordonnée : et l’on se tromperait à vouloir juger d’après elle la manière et le talent de M. Mérejkowski. On se tromperait encore à vouloir les juger d’après le second roman du jeune écrivain russe, la Résurrection des Dieux, bien que ce roman ait déjà une valeur artistique infiniment supérieure. M. Mérejkowski a pris, cette fois, pour héros Léonard de Vinci, dont il nous expose tout au long les pensées et les sentimens, sans parvenir en fin de compte à nous donner de lui une autre image que celle d’un honnête « autodidacte » déiste et fibre penseur, prodigieusement adroit de ses mains, mais négligeant un peu trop son métier pour s’acharner à la construction d’inutiles machines. Etudié avec une minutie et une conscience admirables, le héros de la Résurrection des Dieux est à peine plus vivant que le Julien de la Mort des Dieux, et, de la perfection même que cherche à lui prêter son zélé biographe, se dégage pour nous un profond ennui. Mais autour de lui s’agitent, à chaque page, de nombreuses figures d’un relief saisissant : Savonarole et Ludovic le More, Alexandre Borgia et son fils César, Machiavel, Francesco Melzi, l’humaniste Merula, Béatrix d’Este et Lucrèce Crivelli. Et surtout M. Mérejkowski nous fait voir,