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de son récit une foule d’ornemens superflus, et d’y répandre, en revanche, cet air que Tourguénef se plaignait de ne point trouver dans la Guerre et la Paix.

Et la conversion du comte Tolstoï a eu sur son œuvre d’écrivain une autre influence, que M. Merejkowski paraît oublier. Ne nous. dit-il pas que, par un hasard miraculeux, le comte Tolstoï a pu nous offrir, dans un des chapitres de la Guerre et la Paix, une image absolument parfaite, pleine à la fois de vie et d’expression, et telle que Dostoïewski lui-même n’aurait pu la mieux dessiner pour nous émouvoir : l’image du paysan Platon Karataïef, que Pierre Besoukhof rencontre dans sa prison de Moscou, et qui lui révèle la beauté de « l’âme russe. » Or, les Contes de Tolstoï, qui tous sont postérieurs à sa conversion, abondent en images pareilles à celles-là. Ces contes sont le chef-d’œuvre de leur auteur. L’âme populaire russe s’y révèle à nous dans sa naïve beauté, et sans que la critique la plus sévère puisse prétendre que, seule, telle ou telle partie de cette âme s’y trouve décrite. Et si même la conversion du comte Tolstoï n’avait valu à la littérature que les Deux Vieillards ou De quoi vivent les hommes, aucun lettré russe n’aurait encore le droit de la juger inutile.


T. DE WYZEWA.