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sans doute assez naturel qu’une femme qui écrit à son mari lui parlai plus volontiers d’autre chose que de littérature. La littérature elle-même n’est pas toujours ni partout à sa place.

C’est pourquoi les éditeurs de Morceaux choisis ne trouveront pas beaucoup à puiser dans ces lettres. Je ne parle pas des Lettres à Bosc, dont plusieurs étaient déjà connues, entre lesquelles Bosc lui-même, qui en fut, en 1795, le premier éditeur, avait fait un choix littérairement assez judicieux ; et dont la forme, sans être ce que l’on appelle apprêtée, ne laisse pas d’être plus « soignée » que celle des Lettres à Roland. Rien encore n’est plus naturel. Nous avions 82 lettres de Mme Roland à Bosc : l’édition de M. Perroud en contiendra 195. Mais ce qui semblera plus étonnant, — et qu’il s’agisse des Lettres à Bosc ou des Lettres à Roland, — c’est que, de 1780 à 1787, Mme Roland s’y montre d’une indifférence presque entière aux (affaires publiques. N’étant jamais très longtemps séparée de Roland, supposerons-nous qu’elle aimât mieux ne pas confier à la poste ses impressions sur de pareils sujets ? Il faut aussi nous souvenir qu’aux environs de 1784, par exemple, — et en dépit du Mariage de Figaro, — la révolution paraissait moins prochaine qu’aux environs de 1773. Ceux qui souffraient des abus tâchaient de s’arranger pour en profiter à leur tour, et c’est précisément ce que faisait Roland, et sa femme l’y aidait de son mieux. Mais, encore une fois, c’est l’insignifiance même, à tous ces égards, des lettres de Mme Roland à Roland qui en fait l’intérêt ; et on le va bien voir.

« Avec ma trempe et ma façon d’exister, — écrivait-elle à Sophie Cannet, le 14 avril 1779, — le seul ennemi redoutable que j’aie à craindre serait cette passion si douce et si puissante qui pénètre tous les êtres, mais qui les modifie diversement. L’empire que Je moral s’est acquis sur moi ne me rend accessible que par l’âme, mais après s’être assuré de celle-ci, il n’exclurait pas les sens, et l’effet n’en serait que plus terrible. » Et vers le même temps, le même jour peut-être, c’est à Roland qu’elle faisait cet aveu : « Avec un cœur, et des sens, on ne parvient pas à mon âge sans éprouver ce que la sagesse peut avoir d’austère et de pénible. » Le mariage apaisa ses sens, si mieux peut-être on n’aime dire qu’il les éveilla. La maternité survint ; et, pendant quelques années, rendue à sa nature de femme, celle qui avait été Marie Phlipon et qui devait plus tard devenir Mme Roland, s’abandonna tout entière à la douceur d’un mariage qui était une victoire de sa volonté sur l’indécision de Roland ; qui d’ailleurs l’avait tirée du milieu paternel, où elle avait plus d’une raison de se sentir mal à l’aise ; et