Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui enfin, n’oublions pas ce point, l’avait élevée d’un ou deux degrés au-dessus de sa condition.

On ne pouvait guère douter, — depuis la publication du livre de M. Join-Lambert, — qu’elle eût aimé Roland, à sa manière, laquelle assurément ne pouvait être à vingt-sept ans celle d’une petite fille ou d’une ingénue, et qu’elle l’eût aimé passionnément. C’est ce que confirmera la lecture des Lettres que nous donne aujourd’hui M. Perroud. Six ans après le mariage, les intimes, avec un goût d’ailleurs assez douteux, la plaisantaient encore sur ce grand amour, et notamment l’ami Bosc, auquel elle répondait par ce joli billet, — qu’il s’est bien gardé de publier :

« Oui, Monsieur, je n’en démords pas, c’est mon tourtereau. (C’est elle qui souligne.) Où donc avez-vous vu que l’âge et la maigreur changeassent l’espèce du tourtereau ? (Décidément les plaisanteries de Bosc devaient être du plus mauvais goût.) La jeunesse et l’embonpoint sont-ils les caractères distinctifs de cet être attachant ? J’avais cru, jusqu’à présent, que la tendresse, la fidélité, la constance, étaient ses qualités les plus remarquables, et celles qui lui avaient fait sa réputation chez les poètes et chez les hommes sensibles. Un vieil étourneau me paraîtrait assurément fort ridicule. Mais un tourtereau dont l’âge n’aura fait qu’assurer la persévérance, n’en sera jamais moins aimable et moins tourtereau.

« Ne sied-il pas bien à un effronté moineau, qui va partout à la picorée, de rire d’un bon tourtereau qui n’aime que sa colombe ! Allez, vous pourrez être vif et ardent comme un pierrot, gai comme un pinson, tapageur comme un geai et chaud comme une caille, mais vous ne serez jamais tendre comme un tourtereau… »

On aime à voir Mme Roland dans ce rôle de femme. Marie Phlipon, la jeune fille, très intelligente, un peu virile, et même très libre en ses propos, était « inquiétante ; » et nous ne voulons rien dire ici de la femme politique, si ce n’est que l’agitation révolutionnaire devait bientôt remuer en elle quelques-uns des pires instincts de la nature humaine. Feignons donc pour aujourd’hui de ne pas la connaître. Mais on se réconcilierait volontiers avec la petite Mme de la Platière, pour sa naturelle gaîté, pour sa simplicité ; pour la facilité « bien parisienne » avec laquelle, entre son mari et sa fille, elle s’accommode d’une situation médiocre, par momens difficile ; pour son égalité d’humeur, et, dans ces années heureuses de sa vie, pour la fermeté de son bon sens.

Elle n’est guère moins intéressante dans son rôle de mère, et on est