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lui vient. Ce n’est pas la hache du bûcheron ; ce n’est pas la chute du caillou roulant sous le pied du mulet ; ce n’est pas la course des troncs dévalant de la montagne. Le bruit grandit. Il ne cesse plus. Il ronfle. Il prend l’oreille et il ne la quittera pas : c’est le chant continu des eaux qui tombent éternellement et qui viennent raconter à la plaine le mystère des sommets.

Que de sentiers perdus dans la forêt ! Que de lacets ! Que de détours ! Combien de fois l’énergie est séduite et déçue par une clairière vaine, par un sommet qui fuit ! Il faut monter encore.

Enfin la forêt est franchie. Le grand ciel bleu s’ouvre et son dais immense est tout près. Il est soutenu par les parois des rochers dont la muraille rouge, à pic, flamboie dans le soleil. Mais, sous le pied, s’étend le tapis délicieux des verdures alpestres. Charme frais des altitudes herbagères ! Grâces fugitives et promptes de l’été sans printemps, luxe inattendu et somptueux de ces jardins sauvages qu’un souffle tiède fait naître et qu’un souffle froid va détruire, immense solitude verte qu’aucune ombre ne voile, où pas un arbre ne pousse et qui déroule la tenture des prairies aux plis lourds, de montagnes en montagnes, de mamelons en mamelons, de vallées en vallées, pareille à elle-même, douce à l’œil, douce au pied, mais perfide, car la neige à peine fondue trempe toujours le sol, une brume incessante monte vers le ciel en légers nuages blancs et l’air fraîchit, tandis que dans le soir humide tinte la cloche fêlée du bétail qui marche quelque part et qu’on ne voit pas !

Il faut monter encore. Soudain la végétation cesse. C’est la roche terne ou sanglante, le granit où brille le mica, où rougit le fer. La carcasse terrestre se montre à nu. Maintenant, c’est le volcan éteint ; ce sont les ruines du vieil arrachement originel ; ce sont les flancs lépreux et rocailleux du creuset où la terre bouillonna. Le métal en fusion reste pendu aux parois. Le sol fendu et le rictus des crevasses racontent les hautes températures des anciens âges ; et, s’élevant de pans en pans, de murailles en murailles, l’œil court sur les bords de la marmite infernale où les rocs sont penchés. Au fond, une vapeur lumineuse luit comme une aurore inférieure ; les nuages, éclairés d’en bas, flambent et font un gouffre de fumées rouges qui traînent et s’épaississent en montant lentement vers le ciel. Toute la vallée est en feu. La roche sévère la contient ; la cuve démesurée, qui