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perlent, les rides se creusent et l’eau, de partout, coule et fond dans la plaine. C’est un gémissement, un sanglot, mais si bon et si doux. Eaux des torrens, eaux des lacs dont l’œil bleu regarde le ciel, eaux des cascades, eaux des chutes, eaux des sources qui cheminent mystérieusement sous la terre, eaux des infiltrations, eaux des fontaines, eaux claires et bruyantes jaillissant sous le soleil, eaux des rivières qui portent la fertilité dans les plaines, de toutes parts les eaux s’échappent et se précipitent des sommets. La naïade verte, la naïade des monts est délivrée, et elle emplit les montagnes et les vallées de ses cris de joie et de ses bondissemens.

Pendant des mois et des mois, c’est un ruissellement universel, et, d’en bas, l’homme attend. Combien de temps a-t-il assisté, impuissant et terrifié, à la chute immense et inutile de toute l’énergie que les longs hivers ont accumulée sur la montagne. Que faire de cette force inutilement gaspillée ? Chaque année, le problème se posait et toujours il restait insoluble. La nymphe capricieuse et redoutable, on osait l’aborder, quand elle était plus bas, dans le vallon, déjà lente, souriante et apaisée. Mais ici, sur la montagne, alors qu’elle se précipite et s’évade, comment approcher de son galop furieux ? et, pourtant, le chant éternel de la cascade attire. Il emplit l’oreille ; il ne la quitte pas. Il dit la force accumulée, la force perdue. Plus la chute est haute, plus la force est grande. Comment la capter ? Dans les nuits bercées du vent, bien des insomnies ont dû monter vers les réserves d’énergie qui s’entassent là-haut. La neige tombe et la neige fond. L’eau bondit et l’eau s’écoule. Entre les deux phénomènes, la force s’amasse et se dissipe… L’homme des plaines est plus heureux. Ces eaux, qui viennent d’ici, il les dompte, leur impose le joug, et, joyeux, il fait tourner son moulin.

Pourquoi ne pas essayer, nous aussi. Cette eau si rebelle, pourquoi ne pas la bâillonner dès sa naissance ? Osons seulement.


Un homme a osé. Un jour, il a commandé des conduites destinées à capter les eaux d’une chute de 200 mètres. Cela parut, a tout le monde, une folie. On en riait : « Ses tuyaux crèveront, ses turbines se briseront. Le mieux serait de l’enfermer. » Cependant il tint bon, et, malgré mille déboires, il réussit.