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la montagne. D’ailleurs, la vallée elle-même s’est mise en marche vers l’usine et les villages quittent la rive gauche, pour venir sur la rive droite, chercher le travail et le profit.

Ses murs noirs, ses cloisons ouvertes et pantelantes, ses bâtimens provisoires et toujours en construction, ses toits de schiste, le bruit des eaux qui jaillissent de tous côtés, un je ne sais quoi de téméraire et de ruineux indique la ténacité et le mouvement constant de la volonté et de l’intelligence à la poursuite du mieux. Elle parait, elle-même, un morceau de montagne, un éboulement, un arrachement.

Mais le calme et la sécurité) vous gagnent, si on pénètre à l’intérieur et, plus encore, si on suit, jusque dans la montagne, l’élégante organisation de l’amenée d’eau. Dans l’intérieur de l’usine, l’eau coule de toutes parts. Elle est visiblement aimée, familière, caressée, comme de ces fauves domptés dont on oublie les fureurs latentes. La fraîcheur pénétrante remplace, ici, la poussière, la fumée et la crasse des usines à houille noire. L’eau court tout le long des cloisons et parle partout. Le chaut de la montagne nous poursuit jusqu’ici. La nymphe se cache, mais on respire sa grâce et on l’entend.

Allons la chercher là-haut. L’industrie de M. Bergès a procédé par trois bonds successifs. Son premier élan l’a élevée à deux cents mètres. À cette hauteur, elle a capté, au pied de la montagne, la première chute qui alimente la papeterie initiale, celle sur laquelle s’est appuyée toute l’entreprise. Elle fonctionne toujours. Si l’outillage s’est amélioré et si la production s’est accrue, elle n’a ni à se déplacer, ni à se transformer radicalement : le principe est le même. C’est le moulin primitif, qui pouvait employer, au début, une force de quelques douzaines de chevaux. Seulement, aujourd’hui, elle dispose de 3 000 à 4 000 chevaux-vapeur travaillant vingt-quatre heures par jour et trois cent soixante-cinq jours par an. Cela, pour avoir compris qu’il y avait un autre parti à tirer d’un ruisseau de 500 à 1 000 litres de débit à la seconde, que celui qu’en obtenait, paresseusement, le meunier à la chanson.

Au second élan, on a capté une autre chute : celle-là de 500 mètres, à La Gorge (750 mètres d’altitude). L’atelier se transformait alors et il devenait un dépôt de force hydraulique, accumulateur et distributeur à la fois, un réceptacle d’énergies, mis à la disposition de l’usine d’abord, puis du voisinage. Dans