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tremblantes, contemplant de loin leur évêque, croient voir en lui le dieu terrible de la guerre, l’ange cruel de la destruction !

La crainte et l’inquiétude engendrant la superstition, dans tout phénomène naturel, dans chaque accident imprévu, les sujets de Galen découvrent à présent un funeste présage et l’annonce d’une calamité. Un orage ayant éclaté, brusquement et sans avant-coureurs, dans la splendeur sereine d’une belle journée d’été, on crut entendre dans les airs un fracas de bataille, « les coups de canon et de mousquet, le cliquetis des armes, les fanfares des trompettes, le son des tambours, le gémissement des blessés. » Nombre de « personnes respectables » de Munster et des villes voisines affirmèrent avoir ouï ce prodige effrayant[1]. La foudre, un peu plus tard, tomba sur le clocher d’un monastère, « sans que le tonnerre se fût fait entendre, » et fut la cause d’un incendie qui détruisit un quartier de la ville ; le peuple en conclut aussitôt qu’une guerre prochaine et désastreuse amènerait la ruine de Munster ; tandis que les gens plus lettres, invoquant des souvenirs classiques, murmuraient tout bas que l’évêque « ressemblait à Néron, » qui incendia sa capitale, et qu’il « ferait comme lui périr sa propre mère, c’est-à-dire l’Eglise de Rome. » Bref on vivait dans l’épouvante et dans l’attente des catastrophes.

La frayeur n’était guère moins vive hors des frontières de l’évêché. Les arméniens et les levées du turbulent prélat étaient dans toute la Germanie un sujet continuel de trouble et de malaise ; chacun se demandait sur qui fondrait l’orage. Les marches militaires qu’il dirigeait lui-même pour exercer ses troupes étaient, chez les plus proches voisins, la cause d’alertes incessantes. Tantôt le bruit courait qu’il avait envahi la Gueldre, « où tout succombait à sa rage, » tantôt qu’il était sur l’Yssel avec ses régimens de pillards et de maraudeurs. « On le voyait partout, sauf à Munster, où il était encore. » Sur une fausse nouvelle de ce genre, les habitans d’Arnheim s’enfuirent un jour jusqu’à Doesburg ; il ne fut pas facile de les ramener dans leurs foyers. Les États mêmes moins limitrophes n’étaient pas exempts d’anxiété. « L’évêque de Munster fait une furieuse armée, — mande avec alarme à son frère, le palatin du Rhin, la duchesse Sophie de Hanovre[2]. — Il devient fort comme un démon ! » et des légendes

  1. La Vie et les Faits, etc.
  2. Correspondance avec le palatin du Rhin.