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vingtième jour du siège, enragé de ne faire aucun progrès sensible, il résolut de jouer sa dernière carte et d’employer les « artifices » qu’il tenait en réserve pour l’occasion suprême. Les moyens naturels s’étant montrés inefficaces, il fit appel aux « puissances infernales » et invoqua la magie à son aide. Le 10 août, les braves gens de Groningue virent avec épouvante tomber du firmament de prodigieuses machines. C’étaient des « pots-à-fou » d’une grosseur gigantesque, qui s’ouvraient en touchant le sol : un « petit canon » en sortait, d’où s’échappaient « des laines de cuivre gravées en caractères gothiques et chargées de figures effrayantes. » Il se répandait en même temps « une matière d’une odeur si puante, que l’air était empoisonné[1]. » On conserve le spécimen de certains de ces « talismans ; » ils présentent des images grotesquement horribles, autour desquelles s’enroulent, gravées en lettres archaïques, des formules inintelligibles, mélange barbare de latin, d’allemand et de jargon informe, mots tirés des Saintes Écritures joints à d’autres dénués de sens, chiffres cabalistiques, dont l’aspect mystérieux est bien fait pour agir sur la crédulité d’un peuple ignorant et candide.

Peu son fallut que ces belles inventions ne fussent couronnées de succès. Les mêmes qui, stoïquement, regardaient sans pâlir les bombes et les boulets ardens perdaient la tête devant ces « diableries. » Quelques-uns affirmaient « qu’ils étaient demeurés perclus pour avoir touché ces figures ; » d’autres « qu’en les lisant, ils se sentaient tentés de rendre la ville à l’évêque. » Tous, au premier moment, traitèrent d’impies, d’athées et de blasphémateurs ceux qui, plus clairvoyans, doutaient de ces effets et contestaient ces assurances. L’un de ces « savans hommes, » pour avoir insisté, se vit un jour presque assommé par la populace en délire. Pour vaincre cette panique, le gouverneur dut expédier des théologiens en renom qui prêchèrent sur les places publiques. Leurs discours éloquens, appuyés sur l’Écriture sainte, — et sans doute aussi la remarque que ces engins, au bout du compte, faisaient « plus de bruit que de mal, » — parvinrent enfin à rassurer la foule, et ramenèrent dans les cœurs la vaillance en déroute.

De ce jour, le découragement se glisse peu à peu dans les

  1. Annales des Provinces-Unies. — La Vie et les Faits. — Mémoires de Pomponne, etc.