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contre le vôtre… » La perfidie chez lui est comme un besoin de nature ; quand il ne peut trahir en bloc, il se rattrape sur le détail : « Sa Majesté a vu avec plaisir, écrit ironiquement Louvois après la victoire de Cassel[1], par l’état des troupes de M. de Munster qui était parmi les papiers du prince d’Orange, que ledit évêque n’a pas perdu l’habitude de tromper ceux avec lesquels il traite, puisqu’il livre 5 500 hommes à M. de Villahermosa, qu’il se fait payer pour 9 000[2] ! »

De sa longue carrière, en effet, le trait le plus frappant est la remarquable unité. Sans défaillance, d’un bout à l’autre, il reste fidèle à soi-même ; et l’on dirait que la nature, par une étrange complicité, veuille entrer dans ce jeu et mettre une dernière touche à cette belle ordonnance. Né pour le meurtre et la rapine, il disparait à l’improviste à l’heure où va, pour dix années, se clore le champ propice à ses exploits. Le 10 août 1678, la France et la Hollande conviennent de déposer les armes ; seule l’Espagne résiste encore ; elle cède enfin le 17 septembre ; deux jours plus tard, les Liais Généraux font parvenir les ratifications qui scellent et consacrent la paix, Galen, — qui, disent ses biographes, avait toujours joui jusqu’alors d’une santé merveilleuse, — fut pris, ce même mois de septembre, d’une indisposition légère, qui le força de s’aliter pour la première fois de sa vie. L’État, contre toute apparence, s’aggrava subitement dans la semaine suivante ; et le 19, au jour précis où devenait définitif, le traité de Nimègue, il succomba sans agonie, dans la soixante-douzième année de son âge et la vingt-huitième de son règne. On dit qu’à ses derniers instans il parut touché de remords, qu’il témoigna quelque chagrin des maux dont il avait accablé ses sujets, et déplora « la condition des princes qui ne peuvent se soutenir que par l’oppression de leur peuple ; » enfin, qu’il donna tardivement quelques signes de « christianisme » et de repentir de sa vie.

A peine sa mort fut-elle connue dans la ville de Munster, qu’une foule furieuse se rua sur l’évêché, mit le palais à sac, pénétra dans la pièce où gisait le défunt, arracha du cadavre habits, ornemens et, joyaux, et jeta le corps « presque nu » sur les dalles glacées de la chambre. Tels furent, dans l’explosion première du sentiment public, les honneurs spontanés rendus par le peuple à son prince. En revanche, le lendemain, reprirent leurs

  1. Où Luxembourg s’était emparé de tous les papiers du prince d’Orange.
  2. Lettre à Luxembourg, du 25 juillet 1677. Arch. de la Guerre.