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II

La science est la conquête de la vérité. L’homme naît perdu dans l’ignorance comme un voyageur dans la nuit. Du centre d’obscurité où il attend le jour, chaque étude qu’il tente est un rayon dirigé vers une circonférence lointaine de lumière, chacun de ces rayons s’écarte aussitôt des autres et, de plus en plus solitaire, traverse une région de l’inconnu.

Mais ces sciences entre lesquelles se disperse notre curiosité ne la satisfont pas tout entière. Notre plus grand inconnu est plus proche, il n’est pas hors de nous, mais en nous ; et ce que nous voulons le plus connaître, c’est nous-mêmes. Toutes les autres curiosités fussent-elles éteintes, celle-là survivrait. Et que sont toutes les autres, comparées à celle-là ? A quoi bon la vaine histoire du passé, le spectacle donné par des ombres à des êtres éphémères ? A quoi bon tant d’efforts pour accroître notre domination sur la nature, si nous ignorons pour quelles fins cette puissance d’un jour est à nous ? Seules les réponses à l’énigme de la vie ne sont pas vaines, car elles ne disent pas seulement ce qui est, mais ce qui doit être, elles ne s’adressent pas seulement à la mémoire comme des faits, mais à la conscience comme des ordres ; elles seules ennoblissent l’être en associant la brièveté de ses jours à la permanence d’une loi morale.

C’est pourquoi, si étrangère que semble une étude à ce grand intérêt, on s’occupe d’elle sans se détacher de lui. Plus on la poursuit, plus on s’aperçoit qu’elle a des rapports avec d’autres, qu’elles se rejoignent, se pénètrent, se contrôlent. L’homme constate que, si les sciences sont multiples, la vérité est une. Dès lors il cherche à découvrir, dans les certitudes qu’il acquiert par chaque étude, des présomptions ou des preuves qui l’aident à résoudre le grand problème. Ainsi les sciences, non seulement se racontent elles-mêmes, mais apportent leur témoignage à la science des sciences, à la science de la destinée humaine.

C’est cette philosophie des sciences qui fait leur suprême grandeur. Durant le cours des Ages, on a vu plus d’une fois tressaillir l’humanité à l’espérance que pour la pensée sonnait une heure mémorable. Ce n’est pas quand cette pensée, ingénieuse et multiple en ses recherches de détail, faisait progresser d’un plus rapide élan les sciences particulières C’est quand, après les