Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/641

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

salut de l’empire. Longtemps quelques-uns, — et, parmi eux, Bermudez, qui a laissé un si curieux récit de ses aventures[1], — suivirent le Négus dans ses campagnes et lui bâtirent un palais dont les ruines, encore debout à Gondar, attestent le passage et l’activité des étrangers.

Quand l’éclat éphémère de la domination portugaise se fut affaibli par l’étendue même de son rayonnement, les Espagnols, plus tenaces et plus persévérans, reprirent pour leur compte le glorieux programme du petit royaume. La grande poussée de rénovation catholique qui, partie d’Espagne après la Réforme, fit sentir son action sur tous les rivages du monde et jeta saint François-Xavier sur les plages de l’Inde et du Japon, eut son effet jusqu’en Ethiopie. Ce fut un des projets auxquels s’arrêta un moment l’âme ardente d’Ignace de Loyola, de courir par-delà les mers pour ramener au bercail de l’Unité la chrétienté du Prêtre-Jean, et, si le maître lui-même, sollicité par d’autres apostolats, dut renoncer à quitter l’Europe, du moins ses disciples vinrent-ils en 1557 débarquer sur les côtes de la Mer-Rouge. Philippe II, du fond de son Escurial, suivit avec attention leurs progrès : dans sa grandiose conception politique, l’Ethiopie tenait une place et avait son rôle. Heureuse d’abord, bientôt imprudente, trop ignorante de la vie et des habitudes du pays, la prédication d’André d’Oviedo, puis celle du Père Paez, subirent le contre-coup des fluctuations politiques et des discordes civiles des Ethiopiens. La mission, triomphante et trop vite intolérante avec le négus Claudius, fut dispersée et persécutée par son successeur. En 1632, les derniers religieux furent contraints de se rembarquer après avoir un moment réalisé cette union avec Rome qui eût peut-être changé les destinées de l’Ethiopie en l’unissant, dès ce temps-là, par le plus fort des liens, à l’Europe chrétienne.

Si l’Ethiopie ne réussit pas à jeter solidement, dès cette époque, le pont destiné à la relier au reste de l’humanité chrétienne, du moins, grâce aux relations des voyageurs et des

  1. On trouvera la relation des voyages de Bermudez dans : Histoire du christianisme d’Ethiopie et d’Arménie, par Mathurin Veyssière la Croze. La Haye, chez la veuve Le Vier et Pierre Paupie, 1739, in-18. — L’édition originale de la relation de Bermudez est de 1565 (Lisbonne, chez François Correa). — Sur tout ce qui regarde l’ancienne histoire d’Ethiopie, on consultera le livre si curieux de Job Ludolf ; Historia æthiopica, sive brevis et succincta descriptio regni Habessinorum quod vulgo male Presbyteri Johannis vocatur, 2 vol. in-4o. Francfort-sur-le-Mein, 1681.