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des Italiens à Massaoua, jusqu’à la trouée de Stanley à travers l’Afrique équatoriale pour « délivrer » malgré lui le malheureux Emin, jusqu’à l’entente essayée en 1894 et à l’occupation par les Anglais et les Italiens de toutes les côtes de la presqu’île des Somalis, on aperçoit la persistance d’un dessein patiemment poursuivi, et la pensée directrice de la politique britannique transparait. C’est l’Égypte qui, en définitive, est l’objet de ses efforts, ou, plus exactement, c’est la conquête du Nil, c’est-à-dire du père nourricier sans lequel l’Égypte ne serait pas, de la grande voie africaine, du seul transsaharien que la nature elle-même ait tracé.

La région des Grands-Lacs et l’Abyssinie, voilà les deux châteaux d’eau qui alimentent le Nil, les clés par conséquent de l’Égypte. L’Ethiopie libre, maîtresse de ses fleuves qu’elle pourrait saigner pour l’irrigation ou retarder par des barrages, en mesure d’envoyer ses armées soit vers la route du Nil, soit sur les rivages de la Mer-Rouge, est donc une gêne pour la domination anglaise en Égypte, un obstacle à la réalisation du plan grandiose de l’impérialisme britannique[1] : l’Afrique anglaise du Cap au Caire, l’Océan Indien devenu un lac britannique.

Nous ne saurions ici refaire l’histoire, même rapide, des événemens du Soudan, malgré leur étroite connexité avec ceux d’Ethiopie, ni redire comment, en fin de compte, l’invasion des derviches servit les intérêts des Anglais en leur fournissant un prétexte pour substituer, dans tout le Haut-Nil, « par le droit des conquérans, » la domination de la Reine à l’ancienne autorité du Khédive. Maintes circonstances même ont pu donner à penser que l’Angleterre a vu sans regrets les progrès foudroyans du mahdisme. Slatin et Lupton rappelés, Emin enlevé, Gordon abandonné, Gessi mort, c’en était fini de la puissance égyptienne dans le Soudan : la place était libre pour les combinaisons envahissantes de l’impérialisme. L’Italie devait jouer son rôle particulier, sous l’inspiration directrice de la Grande-Bretagne, dans l’exécution, depuis longtemps préparée, de ces vastes desseins. Elle occuperait le plateau abyssin, qui deviendrait une colonie pour ses émigrans, elle aurait un débouché sur la Mer-Rouge et un autre sur l’Océan Indien. Harrar, dont l’Angleterre, cependant, et

  1. Voyez des déclarations très nettes en ce sens dans le livre récent de M. Arthur Silva, White The Expansion of Egypt under Anglo-Egyptian condominium (Londres, Methuen, 1899), notamment, page 29.