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tête rasé et les cheveux ramenés en l’orme de boudin. Tout sentait en lui l’usure : la ligne oblique et pâle de ses yeux, les ailes, amincies de son nez, le parchemin de son visage qui semblait se racornir, l’ampleur vide de ses vêtemens. Mais l’antique politesse survivait dans ses gestes et donnait de la grâce à sa décrépitude. Il nous écouta en nous faisant des révérences et en aspirant beaucoup d’air entre ses gencives édentées. Le nom d’Imamurasaki lui était inconnu, mais il lui souvenait que, cinquante ans passés, une vengeance s’était accomplie dans cette allée des pins, et qu’une femme y avait secouru son amant.

— Ne voulez-vous point, nous dit-il avec son sourire crevassé, honorer de votre présence mon humble logis ?

Nous acceptâmes, et, dès qu’il nous eut installés sur les nattes d’une petite chambre nue, il frappa dans ses mains et la servante nous apporta le thé.

Alors mon compagnon reprit l’histoire d’Imamurasaki et la lui raconta par le détail, telle que nous l’avions entendue. Le vieillard, dont les hochemens de tête et les interjections gutturales stimulaient poliment le récit de son hôte, glissait de temps en temps sur moi un furtif clignement d’yeux.

— Je voudrais savoir, lui dis-je, ce qui vous intéresse le plus dans cette histoire.

Il me répondit sans hésiter que le dévouement et la bravoure d’Imamurasaki lui semblaient admirables.

— Pour moi, dis-je, je vous avoue que des trois personnages c’est peut-être Tsuruga que je préfère.

— Cependant me dit-il, qu’une fille de joie se montre si généreuse et ose revêtir le costume d’un samuraï, cela sort de l’ordinaire !

— Assurément, répondis-je, mais, avant de venir au Japon, je connaissais déjà des aventures de courtisanes amoureuses et romanesques qui se travestirent pour sauver leur amant, tandis que, chez nous, les Tsuruga sont plus rares. La résolution que prend cet homme de se laisser vaincre et tuer me paraît si belle qu’elle efface à mes yeux son ancienne lâcheté.

— En vérité, repartit le vieillard, je n’y vois rien de remarquable. C’était ainsi qu’en usaient souvent les vrais samuraïs. Une fois leur ennemi mort, ils ne voulaient point frustrer son enfant d’une vengeance qu’ils considéraient eux-mêmes comme