légitime. S’ils l’avaient tué, songez que cet exemple aurait pu détourner d’autres enfans de venger un jour leur père.
— Ainsi, dis-je, vos samuraïs aimaient mieux mourir que d’ébranler dans des âmes timides le principe de l’honneur, et voilà ce que j’admire en votre Tsuruga.
— Hé ! hé ! me dit mon compagnon, un Japonais à demi européanisé, c’est avec des idées pareilles qu’on rend si difficiles le progrès et la civilisation.
Mais l’ancien homme d’armes reprit :
— Le vieux Japon sera bientôt mort, comme moi : les fils de nos princes commencent à oublier l’histoire et les traditions de leur famille… Avez-vous vu l’usine qu’on a bâtie derrière l’église ?
— Oui, mais le cimetière de Sosenji me plaît davantage.
Il sourit et resta quelque temps silencieux. Puis il se leva, sortit et revint bientôt un sabre à la main.
— Puisque vous aimez les choses du temps passé, permettez-moi de vous montrer cette arme.
Il la tira lentement du fourreau et avec une sorte de volupté mélancolique, il y promena ses mains, ses petites mains élégantes et qui, même un peu décharnées, gardaient encore je ne sais quelle enfantine délicatesse.
— À l’époque de la Restauration, me dit-il en souriant, j’ai combattu pour le Shogun au parc d’Uyeno. Et ce sabre a bien décollé trois ou quatre têtes.
Il le reposa précieusement sur un coussin et nous continuâmes à deviser en sirotant nos petites tasses de thé.
ANDRE BELLESSORT.