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avec tant de relief l’homme type qu’il tirait de la race, du milieu, du moment. Le temps n’a pas encore usé le système qui fit une si grande fortune : son inventeur asservit depuis quelque trente ans toutes les intelligences, sitôt qu’elles entrent dans le même ordre d’études. Le temps n’a pas éteint l’éclat de ce style véhément, il n’a rien enlevé au pouvoir de cette poésie logicienne qui s’empare à la fois de notre raison et de notre sensibilité. Vérités saisissantes et assertions contestables, toutes les notions d’un Français qui veut se représenter l’Angleterre ont été clouées dans son cerveau, pêle-mêle, par le marteau d’airain du maître forgeron.

Moins naturaliste que son devancier, moins enivré par la sensation, — souveraine créatrice d’idées pour l’artiste qui vibrait chez Taine, — M. Boutmy se rattacherait plutôt à la lignée des Tocqueville et des Fustel de Cou langes. Il fait ses réserves sur les classifications imposées par l’auteur de la Littérature anglaise ; la race lui apparaît comme un facteur secondaire, il profère situer l’individu dans ce qu’il appelle le milieu humain. Distinctions de mots, un peu subtiles à mon sens. Quoi qu’il en ait, M. Boutmy subit la domination du tyran. Dans les chapitres où il définit la physionomie de la terre britannique, l’homme issu du mélange anglo-normand, ses caractères permanens, ses évolutions historiques, les sources où s’alimente son énergie, les particularités de son idéal moral, social, religieux, on ne trouvera pas une observation essentielle qui ne fût déjà fortement indiquée dans l’esquisse de Taine. Cette esquisse du fougueux coloriste, l’habile graveur la reprend à sa manière ; il y ajoute des ombres, des hachures, des demi-teintes ; il la rajeunit par l’application patiente, la prodigalité du savoir, l’abondance des vues. Il est chez lui en Angleterre ; comment ne serions-nous point persuadés par des jugemens qui témoignent d’une familiarité si intime avec les institutions, les hommes, les œuvres littéraires ?

Des formules heureuses précisent les traits distinctifs. Le grand ressort de la vie anglaise, « le moteur et le générateur de toute action, celui auquel il faut tout rapporter, c’est le goût spontané, la passion gratuite de l’effort pour l’effort. » Le mot d’Emerson, « chacun de ces insulaires est une de, » est judicieusement commenté dans le chapitre sur l’homme moral et social, « le solitaire et le subjectif. » L’observateur montre bien