Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/689

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourquoi ce dur fragment de quartz, avec ses arêtes et ses angles vifs, ne devient jamais sous le frottement de la vague sociale un galet poli, semblable aux autres. Rien de plus juste que le coup d’œil jeté sur les deux grands partis politiques : leurs adhérens respectifs ne sont pas groupés par des principes théoriques, immuables, mais par le même esprit de discipline, le même besoin de jouer le jeu qui les divisait en deux camps, le matin, sur une pelouse de lawn-tennis ou de foot-ball. Jeu conventionnel, goût de la lutte pour la lutte. Le passage d’un camp à l’autre est fréquent et ne scandalise personne. L’équipe battue vient occuper sans scrupule le terrain où l’adversaire se défendait la veille. S’ils croient cette évolution avantageuse pour le gain de la partie, les torys ramassent dans l’opposition un programme whig.

La sagacité du psychologue politique se révèle surtout dans les comparaisons entre nos deux nations. — « La France ne connaît plus guère cette impression de continuité ; elle n’en sent pas le besoin. Le moment présent, qui est déjà une abstraction, nos politiques rationalistes le dépouillent encore, l’isolent de tout ce qui marque son rang dans la série : ils ne prétendent pas à moins qu’à sortir du temps et à entrer dans l’absolu. L’Anglais n’estime pas que la vérité doive être cherchée en dehors de la réalité et de la vie. Cette abstraction du moment présent, il s’efforce non pas de la subtiliser encore, mais de lui donner poids, corps et substance, en la rattachant à un passé aussi long qu’il le peut concevoir. Inhabile à élever son horizon par la généralisation philosophique, il l’élargit par une sorte de généralisation historique. Il demande à l’indéfini des siècles la majesté que nous demandons à l’indéfini abstrait de nos conceptions. » — Je cite au hasard parmi ces remarques ingénieuses ; elles s’enchaînent ainsi le long des pages où l’homme et la société politique nous apparaissent sous tous leurs aspects. J’imagine qu’un Anglais fermera ce livre avec une admiration sincère pour le démonstrateur qui lui a si bien décrit chaque cellule de son organisme. Un étranger mal préparé aura peut-être plus de peine, à recomposer la figure totale, vivante, dans la simplicité de ses lignes générales. Inévitable rançon des acquisitions de détail que fait le lecteur dans ces belles planches de dissections.

Cette méthode analytique ne va pas sans quelque danger pour la solidité des explications déterministes. Nous ne sommes plus terrassés par l’éloquence impérieuse d’un Taine : nous avons le