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M. Boutmy ne touche qu’incidemment, dans les dernières pages de son livre, à l’explosion d’impérialisme qui ouvre pour l’Angleterre une ère nouvelle. Il ne se proposait point de l’étudier ; son dessein, nous dit-il, était différent : « Nous avons recherché plus haut que le mobile tableau du monde les causes premières, les causes maîtresses qui ne changent point… Ce que nous avons essayé de saisir, c’est le fond presque permanent de la race anglaise, ce qu’elle demeurera dans tous les temps, quelque forme qu’elle revête, démocratie ou oligarchie, monarchie ou république, pays de libre-échange ou de droits protecteurs. Par exemple, malgré les énormes différences de caractère qu’il présente d’un siècle à l’autre, le peuple anglais est resté et restera très individualiste, très peu capable de sympathie, très peu soucieux de celle des autres, très orgueilleux jusque dans l’humilité d’une dévotion très intense, très dédaigneux des autres races et très impropre à se mélanger avec elles, incapable de comprendre, même de loin, la solidarité du monde civilisé, incliné à diviser les questions, à les morceler même, indifférent à l’idée de les réunir dans l’harmonie d’une vaste synthèse, se servant de la logique plutôt pour faire après coup des apologies que pour découvrir des horizons nouveaux, plus disposé à suivre dans ses changemens un illustre homme d’Etat qu’à s’attacher, pour le condamner, à la rigidité des principes, exempt de tout esprit révolutionnaire et pourtant fertile en personnalités originales. »

J’ai tenu à citer en entier cette conclusion dans son vigoureux raccourci. J’en crois volontiers un connaisseur si renseigné. Seulement… seulement des figures anglaises, représentatives au premier chef, surgissent dans ma mémoire : j’essaye à ces hommes l’habit d’uniforme où ils devraient entrer aisément ; s’ils allaient le faire craquer ! J’écarte, bien entendu, les Écossais, qui occupent une si large place dans la philosophie et dans les sciences, j’écarte les Irlandais, qui marquent aujourd’hui dans les hauts grades militaires. Nous voici débarrassés de quelques irréguliers très gênans, un Carlyle, un Ruskin, puisqu’il fut élevé par une mère Écossaise. Je ne retiens que des Anglais présumés de race pure, depuis Bacon jusqu’à M. Herbert Spencer, depuis Newton jusqu’à Darwin : philosophes et savans qui ne passent point pour réfractaires au génie synthétique, ni pour timides devant les horizons nouveaux. Et Jérémie Bentham, qui se proclamait citoyen du