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ouverts, toujours pleins, étaient l’un des endroits où l’opinion s’exprimait avec le plus de véhémence ; les partis y bataillaient à coups d’allusions. Le 20 brumaire, il parut que toutes les âmes vibraient à l’unisson. Dans les pièces représentées, les passages susceptibles d’application à l’événement du jour, au triomphe de Bonaparte, furent avidement saisis, couverts d’acclamations. L’Opéra, alors Théâtre de la République et des Arts, donnait la Caravane. Il y est question d’un personnage sauveur, celui qui


… par son courage,
De la mort, du pillage,
Nous a préservés tous.


Est-ce Saint-Phar, héro de la pièce ? Non, c’est Bonaparte, vainqueur de la faction abhorrée, et toute la salle d’applaudir, de crier bis, de redemander le couplet.

Au dehors, les monumens publics s’étaient illuminés, quelques maisons en avaient fait autant, mais les auteurs les plus dévoués au Consulat conviennent implicitement qu’il n’y eut pas ce jour-là d’illumination générale et spontanée ; les temps restaient trop durs. Des cortèges municipaux passaient dans les rues, à la lueur des flambeaux, et s’arrêtaient sur les places, dans les carrefours, devant les monumens ; là, un officier public annonçait les résultats définitifs et lisait les actes par lesquels le gouvernement nouveau se proclamait : « Il n’y a plus de Directoire ; » à la place du Directoire, une commission consulaire exécutive, « composée de Sieyès et Roger-Ducos, ex-directeurs, et de Bonaparte, général ; » à la place des Conseils, deux commissions choisies parmi leurs membres et chargées de voter les lois ; cinquante députés au lieu de sept cent cinquante ; soixante et un représentai nominativement déchus. Alors le contentement populaire s’exaltait, enthousiaste et bruyant. Une lettre insérée dans un journal violemment hostile au Directoire raconte « qu’on s’embrassait dans les rues avec une effusion qui tenait du délire, » que chacun applaudissait à l’acte libérateur. « Le peuple est en liesse, — dit un témoignage plus impartial — et croit avoir reconquis la liberté[1]. »

Le procès-verbal du parcours nous a été conservé pour le cinquième arrondissement, quartier central, quartier de

  1. Lettres de Mme Reinhard, 98.