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vigoureusement la fonction ; quoiqu’il n’eût pas été initié avant Brumaire au secret total de l’entreprise, il s’était comporté avec zèle en cours d’événement. Sieyès néanmoins le haïssait, se défiait de lui extrêmement, et eût voulu lui substituer un conventionnel plus notoirement assagi, Alquier. Bonaparte le fit maintenir ; il estimait que l’intérêt de Fouché serait le garant de sa fidélité, que ses antécédens, ses accointances, ses attaches, loin de nuire, présentaient des avantages : « Je sais qu’il n’a point rompu avec ses amis les terroristes ; il les connaît ; sous ce point de vue, il nous sera utile[1]. » Cet élément jacobin, introduit à l’intérieur du gouvernement, servirait de préservatif contre ceux du dehors ; c’était le système de l’inoculation appliqué à la politique.

Les Consuls choisirent comme leur secrétaire général Maret, le futur duc de Bassano, auquel on adjoignit l’ex-secrétaire du Directoire, La garde, qu’il fallait récompenser d’avoir tourné le dos à ses anciens patrons. Avant de lever leur première séance, les Consuls rédigèrent une proclamation aux Français, pièce assez terne et de nature à ne froisser personne. Ils se glorifiaient moins qu’ils ne s’excusaient d’avoir détruit la constitution ; elle était discréditée, faussée ; elle livrait la France « aux factions haineuses et cupides ; » c’est pourquoi tous les vrais patriotes s’étaient réunis dans l’intention d’opérer un changement. Les Consuls promettaient à la République raffermie des destinées glorieuses, sans dire en quoi consisterait cet avenir ; ils invitaient tous les Français à prêter avec eux le vague serment à la République une et indivisible, à légalité, à la liberté, au système représentatif. Cette annonce modeste, qui ne posait aucun des problèmes à résoudre, n’avait rien d’un début à fracas.

Par suite des communications lentes et difficiles, on ne saurait pas avant plusieurs jours si les départemens acceptaient le fait accompli, s’il ne se formait nulle part un centre d’opposition et de résistance, si les armées adhéraient. En attendant, il fallait gouverner avec Paris et se fortifier sur place.

Le Consulat provisoire, germe d’où devaient éclore le principal consulaire et le formidable Empire, naissait matériellement faible et dénué : pas d’argent, les caisses vides, le trésor à sec ; dans les bureaux, « une fourmilière indescriptible de fripons et

  1. Eclaircissemens de Cambacérès.