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n’ont pas ou qui peuvent croire ne pas avoir toujours des intérêts conformes à ceux de la chose publique, mais cela tient à des faits qu’on ne peut réparer en un instant… C’est à tirer le meilleur parti des hommes, des choses et des circonstances, tels qu’ils sont les uns et les autres, que consiste la sagesse du législateur, aussi bien que le talent de l’administrateur… »

Sur cette conclusion éminemment opportuniste, l’impôt progressif fut législativement abrogé, le 28 brumaire. Le Consulat ne perdit pas un instant pour tirer de celle mesure un bénéfice palpable. Sur invitation du ministre, les notables de la finance s’assemblèrent chez le banquier Perregaux ; le 3 frimaire, la réunion fut transférée chez le consul Bonaparte. Les principaux banquiers, les Perregaux, Davillier, Germain, Fulchiron et autres étaient présens. Bonaparte leur promit un gouvernement de défense sociale, ami de l’ordre, respectueux de la propriété sous toutes ses formes, pacifique au dehors ; lorsqu’il eut terminé et se fut retiré, Gaudin tira la conclusion du discours en sollicitant une avance de 12 millions. Les banquiers souscrivirent pour cette somme, mais la confiance n’était pas suffisamment établie pour qu’ils jugeassent à propos de desserrer trop vite les cordons de leur bourse. Trois millions seulement furent portés au Trésor ; le reste servit à gager une loterie qui procura la somme. Grâce à ces ressources et à quelques expédiens, on put subvenir aux premiers besoins. Dans Paris, l’impression produite par l’abolition de la taxe progressive fut excellente. Les signes extérieurs de la richesse se cachèrent un peu moins ; le soir, aux abords des théâtres, des équipages de maître reparurent ; on recommença d’aller à l’Opéra dans sa voiture.

Les Jacobins exclus des conseils, les « frères et amis, » les agitateurs de profession s’étaient ternis. Ils ne couchaient plus chez eux, vivaient chez des amis, osaient à peine sortir, rasaient les murs. Par tradition révolutionnaire, par vieille habitude de traiter les vaincus en coupables, la police les pourchassait ; elle en incarcéra quelques-uns et puis les relâcha pour la plupart, le nouveau pouvoir se piquant moins de remplir que de vider les prisons, et Fouché tenant à épargner les terroristes comme individus, alors même qu’il les frappait comme parti. Il parut néanmoins indispensable de prendre contre les Jacobins une mesure d’ensemble, plus comminatoire qu’effective.

L’histoire de cette pseudo-proscription est curieuse. Sieyès