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institutions de l’an III et s’opposer à la fortune de Bonaparte. Au contraire, dans la population des villes, certains groupes ardens, agités, bruyans, témoignaient, d’une approbation tumultueuse et entraient en effervescence. C’étaient les réactionnaires militons, les associations de jeunes gens, les bandes de muscadins et de contre-révolutionnaires à gourdin qui avaient mené la lutte contre les résurrections successives du jacobinisme. La plupart d’entre eux étaient au fond royalistes, quoiqu’ils se posassent simplement en anti-Jacobins et combattissent la Révolution au nom de ses principes. L’événement de Brumaire, à mesure que les circonstances s’en éclaircirent mieux, les enivra d’espoir.

Si la première journée, à peu près légale, n’avait paru qu’ouvrir une ère de rénovation républicaine, la seconde journée, par la mise en fuite des députés, par cette atteinte portée à un simulacre d’institutions représentatives, avait pris un aspect franchement contre-révolutionnaire. Les ennemis de la Révolution crurent que leur jour arrivait et se livrèrent à une joie agressive. A Bordeaux, à Clermont-Ferrand et dans d’autres centres, des manifestations tapageuses, des rixes, des attaques contre les représentans de l’autorité républicaine étaient signalées, et l’attitude de Paris depuis quelques jours encourageait ce mouvement. Fait plus grave, le gros du public sympathisait avec ses auteurs ; par horreur du joug révolutionnaire, la population semblait se mettre à la remorque des royalistes. A voir tomber le gouvernement persécuteur, tous les Français, — et ils se comptaient par centaines de milliers, — qu’il avait menacés ou atteints dans leur sécurité, ruinés, traqués, humiliés, traités en parias et en ilotes, éprouvaient une joie de libérés ; ils applaudissaient à ceux qui se levaient furieusement contre les fonctionnaires oppresseurs et tarés, contre les pouvoirs officiels et occultes, contre les clubs et les comités, contre les rigueurs de la législation républicaine et ses puérilités vexatoires, contre toutes les formes de la tyrannie révolutionnaire, aujourd’hui déconcertée et chancelante. En 1789, on avait vu l’anarchie spontanée ; c’était maintenant la réaction spontanée, menaçant de tourner à un autre genre d’anarchie, à un délire de représailles et de vengeances.

Bonaparte sentit immédiatement le péril, car il vendait éviter avant tout que son nom devînt synonyme de réaction. Le plan qu’il avait conçu pour l’avenir était grand et sauveur ;