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peut-il bien être ? Je ne crois pas nécessaire de passer en revue les hypothèses qui n’offrent aucune vraisemblance. Deux candidats ont été mis en avant et ont rallié autour deux une armée de partisans. C’est William Herbert, comte de Pembroke, et Henry Wriothesley, comte de Southampton. On remarquera que, pour identifier ce dernier avec le W. H. de la dédicace, il faut intervertir les initiales de son nom. Pourquoi cette interversion ? Précisément pour dissimuler ce nom, pour donner au public, friand de mystère, une énigme à déchiffrer. M. Sidney Lee, le très distingué et savant critique auquel on doit la vie de Shakspeare, parue en 1891 dans le Dictionary of national Biography, s’étonne qu’on ait pu songer à traiter de « Mr » un nobleman comme Southampton ou Pembroke. L’un était investi de son titre depuis 1582 ; l’autre n’hérita du sien qu’au commencement de 1601, mais on lui donnait déjà le nom de lord, par courtoisie, comme au fils d’un comte. On répond encore que cette appellation plébéienne a pour but de rompre les chiens et de dépister l’a curiosité tout en l’excitant. Mr Thomas Tyler, un Pembrokiste militant dont on ne peut nier la compétence, dans sa dernière réédition des Sonnets (1899), réplique à M. Sidney Lee avec une âpreté digne des savans du XVIe siècle et cite différens exemples de grands seigneurs ainsi qualifiés « Mr » dans des dédicaces à demi voilées.

Je n’ai pas encore parlé du troisième sens de begetter. Celui auquel se rallie M. Sidney Lee : beget, au commencement du XVIIe siècle, avait presque la signification attribuée par les Anglais modernes au verbe get, et l’on sait combien cette signification est large et compréhensive. Le begetter serait l’homme qui a entre les mains les sonnets et qui les a procurés à l’éditeur. Un volume de poésies de Southwell avait paru l’année précédente, dédié dans des termes à peu près identiques à un certain W. H. en qui on est en mesure de reconnaître M. William Hall. C’est aussi, — nous assure-t-on, — le W. H. des sonnets. Le pirate Thorpe remercie le pirate William Hall du petit service qu’il lui a rendu et dont les deux compères se proposent, selon toute apparence, de partager les bénéfices. Mais alors, demanderons-nous, que signifie « l’immortalité promise par le grand poète ? » On nous répond : « Pure exagération de dédicace, hyperboles flatteuses auxquelles il convient de n’attacher aucune importance ! < » C’est au public déjuger. Il pensera