Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/818

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

composant, avait voulu, tout bonnement, se moquer des autres sonnettistes contemporains, bafouer l’Euphuisme comme Molière a ridiculisé le style précieux. Il y a, en effet, deux ou trois sonnets où l’intention sarcastique est évidente, quelques autres où elle est latente et vaguement diffuse, Mais soutient-on aussi longtemps un tel jeu ? Imagine-t-on Molière qui recommence cent cinquante-quatre fois le sonnet d’Oronte ? Le professeur Minto repousse la théorie d’Henry Brown en ce qui touche le premier groupe de sonnets, mais s’y rallie en ce qui concerne la Dark lady. Restriction malheureuse, car c’est là, précisément, que la poésie des Sonnets se fait circonstanciée, directe, réaliste. C’est pourquoi, — en dépit des parcelles de vérité qu’elle contient, — la théorie du professeur Minto, pas plus que celle de M. Henry Brown, n’a satisfait la majorité des Shakspeariens.

La parodie n’est autre chose que le symbolisme comique. Beaucoup de commentateurs ont cherché un symbolisme véritable dans les Sonnets. La chose n’a rien d’insolite parmi les compatriotes et les contemporains de Shakspeare. Les sonnets intitulés par Spenser Amoretti ont, apparemment, pour objet une personne réelle, puisqu’elle devint la femme du poète, et nous n’avons pas la moindre peine à reconnaître Pénélope Devereux dans la Stella des sonnets de Sidney. D’autre part, Drayton adresse les siens à des idées ou à des vertus personnifiées. Les historiens littéraires remarquent que, parmi les sonnets anglais de ce temps, ceux-là seuls ont duré qui renfermaient de l’émotion vraie et, si je puis dire, quelques gouttes de sang humain. Soit, mais ils oublient de nous dire pour quelle part entre l’idéalisme dans ces sonnets adressés à des êtres réels et quelle étrange transformation subit la passion vivante distillée dans le sonnet. Comparez Pénélope Devereux, la femme aux deux maris, avec cette Stella dont Astrophel, pour unique caresse, effleure le front pendant son sommeil. Vous comprendrez, alors, que la distance est moindre ; de la femme réelle à la maîtresse rêvée que de la maîtresse rêvée à l’idée toute pure. Et, en vérité, tout amour conduit au symbolisme ou en dérive. C’est là que se rencontrent, entre ciel et terre, l’amant qui a fait de sa maîtresse le lieu de toutes les perfections dont il est épris et le penseur qui habille d’une forme humaine ses chères conceptions, sa Vérité ou sa Beauté.

En tout cas, la question n’est pas résolue par les analogies