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extraordinaire dans le rôle de Richard III. Shakspeare s’arrangea pour intercepter la galante invitation et pour s’y rendre le premier. Quand Burbadge arrive enfin, il trouve porte close ; de l’intérieur, une voix railleuse lui crie de consulter les dates : « William le Conquérant a régné avant Richard III. » Cette anecdote a bien la mine d’être apocryphe. Cependant les critiques anglais semblent la prendre au sérieux. Et c’est cette farce de carnaval, saluée d’un grand éclat de rire par les contemporains, qui inspirerait à Shakspeare des accens dignes des Psaumes de la Pénitence ? Il ne pourrait se consoler d’avoir mis à mal une « honneste dame » qui donnait des rendez-vous nocturnes aux artistes et qui se résignait, en cinq minutes, à une substitution de personne dans l’objet de son choix ? Si c’est vraiment là le « scandale » des Sonnets, je n’ai pas besoin de chercher un meilleur exemple du grossissement, de la métamorphose prodigieuse que subissent tous les sentimens dès qu’ils sont effleurés par cette poésie.

Et cependant, en cherchant bien, on finit par rencontrer, dans ces mêmes Sonnets, la note vraie, l’expression juste qui replace le poète de plain-pied avec le reste de l’humanité. « Je suis ce que je suis, dit-il, I am that I am ; » et il ajoute, un moment après : « All men are bad. » Shakspeare était un homme de plaisir, rien de plus certain. Ses mœurs fournissaient un texte de plaisanteries non seulement à ses adversaires, mais à ses amis, qui paraissent en avoir été médiocrement choqués. La chose est prouvée par le Satiromastix, sorte de pièce aristophanesque où Dekker met Shakspeare en scène, non sous le nom de Guillaume le Conquérant, mais sous celui de Guillaume le Roux, ce qui lui va mieux à cause de son teint et de la couleur de ses cheveux. On l’y voit enlever une femme mariée, au milieu de circonstances tout aussi sérieuses que celles qui entourent l’adultère dans un vaudeville du Palais-Royal. Le Satiromastix fut joué par la troupe à laquelle appartenait Shakspeare, dans le théâtre dont il était codirecteur et actionnaire, et quelque chose des bénéfices que produisit la pièce dut entrer dans sa bourse. Tout cela n’annonce pas un homme bien contrit.

Il n’en est pas moins vraisemblable qu’aux approches de la quarantième année, les sens de Shakspeare, apaisés et un peu las, laissèrent place à des pensées toutes nouvelles. La conception du péché lui demeurait étrangère connue, toute autre idée