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lui-même ; en vain il avait appelé au secours du droit méconnu les signataires de l’acte ; de Berlin ; personne n’avait fait mine de parler en sa faveur, il était resté isolé en face du léopard britannique. Les hommes d’État portugais mirent à profit la leçon ; ils comprirent que, parmi les puissances qui brillent au premier rang sur l’horizon politique, aucune, — pas même la France, — n’a su reprendre la vieille tradition française de protection des États trop petits ou trop faibles pour suffire eux-mêmes à la défense de leurs intérêts. L’Angleterre avait le pouvoir d’imposer, en tout cas, sa volonté à « sa plus ancienne alliée ; » mieux valait donc se rapprocher d’elle, se mettre sous sa protection et, au risque de blesser l’opinion publique, obtenir de sa hautaine bienveillance ce que l’on était impuissant à défendre contre elle. D’ailleurs, les colonies portugaises, et spécialement celle du Mozambique, n’étaient-elles pas comme imprégnées de capitaux anglais ? Etait-il une seule entreprise considérable où les Anglais n’eussent des intérêts ? Tel fut sans doute le raisonnement qui détermina le gouvernement de Lisbonne ; et si, à vrai dire, il n’eut, en accomplissant son évolution, qu’un médiocre souci de la dignité nationale, peut-être apprécia-t-il assez sainement la réalité de sa situation dans le monde.

Les événemens, depuis 1891, ont, à plusieurs reprises, montré que les visées des Anglais sur la côte de Gaza restaient les mêmes, et que, s’ils conseillaient à ne pas s’emparer du pays, du moins prétendaient-ils y agir comme chez eux, persuadées qu’il finirait par tomber, comme un fruit mûr, en leur possession effective. Leurs convoitises se portaient ouvertement sur la baie de Delagoa, dont en 1875, la sentence arbitrale du maréchal de Mac-Mahon avait confirmé la possession au Portugal. Une première fois ils crurent trouver dans la révolte des Cafres Vatouas une occasion de réaliser leurs desseins et ils ne se cachaient guère d’exciter et de soutenir le roi Gougounhama qui tenait la campagne dans « l’arrière-pays » de Lourenço-Marquès. En 1897, la guerre durait depuis trois ans et devenait inquiétante ; les Cafres menaçaient Lourenço-Marquès et les Anglais, — péril plus grave encore, — s’apprêtaient à défendre eux-mêmes les approches de la ville, quand le major d’Albuquerque mit fin au conflit par un incroyable coup d’audace. Avec cinquante cavaliers il poussa tout droit jusqu’au camp des noirs, et, au milieu de deux ou trois mille guerriers, s’empara de la personne