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croix et sous la tutelle de la France. Grâce à eux, le renom de notre patrie apparaît rehaussé du prestige de l’Eglise catholique, et il est permis de croire que, réciproquement, une mission comme celle de Mgr Macaire, si elle eût été patronnée, non par l’Autriche, mais par la France, aurait abouti à un résultat tout différent. Le Souverain Pontife, pour nouer des rapports suivis avec l’empereur abyssin, souverain chrétien et autonome, n’a pas besoin de recourir aux bons offices d’une puissance protectrice, comme cela se passe pour les chrétientés vassales du Sultan ; mais l’amitié réciproque, fondée sur la communauté des intérêts et sur le souvenir des services rendus, qui unit la France à l’Ethiopie, pourrait permettre à notre pays de continuer, sur cette terre lointaine, la longue tradition de sa collaboration féconde avec le Saint-Siège. Et ainsi le retour du peuple abyssin dans le bercail du catholicisme deviendrait, pour l’Ethiopie elle-même, une garantie nouvelle de son indépendance et serait, du même coup, un succès pour la politique française.


VIII

En quête de marchés nouveaux et de terres vierges, où leur civilisation mercantile et utilitaire pût s’épandre et leurs capitaux’ trouver des placemens avantageux, les ludions européennes ont d’abord mis la main sur les pays qu’aucun, peuple civilisé, ou du moins aucun peuple de civilisation parente de la nôtre, n’occupait ; elles pouvaient ainsi colorer la brutalité de leurs appétits d’un reflet d’idéal, invoquer leur dévouement à « la cause de la civilisation, » s’autoriser même d’un souvenir lointain des croisades. Mais voici venue l’heure où manquent les terres vacantes, où le « partage du monde » s’achève. Les « barbares » authentiques se faisant rares, il fallut en découvrir d’imaginaires, et les Anglo-Saxons, les premiers, se distinguèrent à ce jeu : « barbares » étaient hier les Espagnols possesseurs de Cuba et des Philippines ; « barbares » sont aujourd’hui les Boers ; « barbares » peuvent être demain les Ethiopiens. Il serait temps, en vérité, de mettre fin à cette hypocrisie et de respecter la vie des nations constituées, capables d’un développement autonome et d’une civilisation originale. Mais peut-être aussi est-ce naïveté de faire appel à un sentiment de justice internationale dans notre civilisation désemparée de ses principes directeurs et