Page:Revue des Deux Mondes - 1901 - tome 2.djvu/931

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois aperçu dans le lointain une étude complète sur eux ; ce serait en raccourci toute la psychologie moderne : l’un a fait les races, les groupes, les époques, la psychologie générale ; l’autre les individus, la psychologie biographique. Ils sont les deux fondateurs de la critique psychologique et de l’histoire naturelle de l’homme. » Lui-même affirmait n’avoir de toute sa vie fait autre chose que de la psychologie.

Comme les écrivains du XVIIIe siècle, il ne cesse de regarder du côté de l’Angleterre. L’auteur des Notes sur l’Angleterre et de l’Histoire de la Littérature anglaise se montre suffisamment épris de la vie anglaise et du génie anglais. Et c’est en Angleterre que l’auteur des Origines de la France contemporaine a pris la plupart de ses idées politiques : foi dans l’individualisme tempéré par l’esprit d’association, respect de la tradition, rêve d’une aristocratie dirigeante, tendances décentralisatrices. C’est en Angleterre qu’il trouve ceux des philosophes contemporains avec qui il se sent le plus de rapports : Bain, Spencer, mais surtout Stuart Mill. « Tous les demi-siècles, et plus ordinairement tous les siècles ou tous les deux siècles, paraît un homme qui pense… En ce moment la scène est vide en Europe… Dans ce grand silence et parmi ces comparses monotones, voici un maître qui s’avance et qui parle. On n’a rien vu de semblable depuis Hegel. » Mais celui que Taine annonçait en termes si magnifiques était lui-même tout pénétré d’idées françaises. A travers Stuart Mill et les positivistes anglais, c’était Comte et le positivisme français que Taine était en train de découvrir.

Les derniers biographes de Taine restreignent outre mesure la part d’influence qui revient à Auguste Comte dans la constitution de son système. Il se peut que Taine n’ait lu d’ensemble le Cours de philosophie positive qu’aux environs de 1860. Mais il en avait lu déjà des fragmens, il connaissait les idées de Comte, il les avait retrouvées chez les positivistes anglais : le contact avec la philosophie de Comte a été pour lui décisif et lui a permis d’écrire son premier grand ouvrage de généralisation. L’historien d’Auguste Comte, M. Lévy-Bruhl, l’indiquait justement : « Taine, il est vrai, doit beaucoup à Spinoza et à Hegel, davantage encore à Condillac. Parmi les contemporains il semble se rattacher surtout à Stuart Mill et à Spencer. Mais c’est de Comte qu’il procède à travers eux. Là se trouve l’origine de la plupart de ses idées directrices. Sa conception de l’histoire littéraire, de la critique, de la philosophie de l’art, son effort en un mot pour transporter aux sciences morales la méthode des sciences naturelles, tout cela dérive principalement d’Auguste Comte. L’Histoire de la littérature anglaise est, en un