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destinée à l’usage populaire, car lui-même disait d’elle que « ceux qui la connaissaient n’en parlaient-pas, et que ceux qui en parlaient ne la connaissaient pas. » Mais les écrits de ses disciples nous en ont révélé, tout au moins, les principes essentiels. Ils nous ont transmis en particulier ces deux aphorismes bien caractéristiques : « Ne fais rien, et tout se trouvera fait, » et : « Je ne fais rien, et les choses s’arrangent spontanément pour le bien de tous. » Lao-Tsu était, en effet, un fataliste, un apôtre du non-vouloir et du non-agir. Et c’était, avec cela, un des plus profonds philosophes qui aient existé jamais en aucun pays, à supposer toutefois que sa doctrine se trouve exactement rapportée dans l’admirable livre de son disciple Chuang-Tsu. « Tao, — nous dit Chuang-Tsu, — est sans commencement et sans fin. Rien n’existe où Tao ne soit, et qui ne soit lui. Tao ne saurait être ni vu, ni entendu. Il n’est ni trop petit pour les plus grandes choses, ni trop grand pour les plus petites ; et ainsi toutes choses sont plongées en lui. » Il est la Loi universelle, où tout doit se soumettre. En lui, « les contraires se réconcilient ; » en lui, « le oui et le non, l’ici et le là, le quelque part et le nulle part se confondent, comme l’eau se confond dans l’eau. » Et Tao est aussi l’unique réalité. « Ceux qui rêvent du banquet se réveillent pour les pleurs. Ceux qui rêvent des pleurs se réveillent pour la fête. Pendant qu’ils rêvent, ils ignorent qu’ils rêvent. Et peu à peu s’approche le Grand Réveil, et alors nous découvrons que toute notre vie n’est en vérité qu’un grand rêve. Seuls les tous s’imaginent qu’ils se réveillent dans cette vie, et se flattent de savoir qu’ils sont réellement princes ou paysans. Confucius et toi qui me lis, vous n’êtes tous deux que des rêves. Et moi qui vous dis que vous êtes des rêves, je ne suis moi-même qu’un rêve. »

Vers le même temps où Chuang-Tsu écrivait ses Flots d’Automne, c’est-à-dire au début du IIIe siècle avant Jésus-Christ, un autre philosophe chinois, nommé Hsun-Tsu, s’attaquait d’une façon plus positive au souriant optimisme de Confucius. « Par nature, disait-il, l’homme est mauvais. Si un homme parvient à être bon, ce n’est là qu’un produit artificiel. Par nature, d’abord, il subit l’influence du désir égoïste : et il tend à s’approprier tout ce qu’il peut, sans songer à son voisin. En second lieu, il subit l’influence de la haine et de l’envie : et il cherche la ruine d’autrui. En troisième lieu, il subit l’influence de ses passions animales : et il commet des excès, sortant de la voie du devoir et du bien. Ainsi l’homme qui veut se conformer à sa nature est fatalement conduit à toute sorte de violences, de désordres, et d’actes de barbarie. Ce n’est que sous la contrainte d’une